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Dans une longue lettre, Jean-Marie Guénois revient sur l’affaire Santier et pointe les insuffisances de la Conférence épiscopale. Extraits :

 […] Cette institution religieuse semble en réalité suradministrée. Ce qui déresponsabilise les personnes à son service. Elles se considèrent comme les humbles rouages soumis et impuissants d’une grande institution.

Rares en effet sont les évêques qui osent sortir du rang. À moins de qualités exceptionnelles (intelligence et caractère, vision et détermination, courage et liberté) ils sont souvent remis à leur place au titre d’une «fraternité» égalitaire mais qui confine parfois à la platitude et au refus de nommer les problèmes.

C’est un constat éclairé par l’expérience du suivi du cardinal Lustiger mais aussi du cardinal Decourtray, que j’ai eu la chance de côtoyer comme journaliste depuis 1984 jusqu’à sa mort.

J’ai vu de près le combat de Lustiger au sein de la conférence des évêques qui, collectivement, rejetait frontalement ses orientations pastorales et qui, fraternellement, a toujours refusé de l’élire, président de l’épiscopat, lui barrant savamment la route…

C’est un phénomène très français. Les épiscopats étrangers, allemands, italiens, espagnols, polonais, des États-Unis, brésiliens que je connais un peu laissent beaucoup de liberté à l’expression des personnalités dont l’Église de France manque cruellement ces temps-ci. Elles existent ces personnalités, mais elles sont muselées par un collectif à courte vue. […]

En conclusion, je vous propose quelques points d’analyses plus personnelles :

Il y a un échec de discernement dans certaines enquêtes préalables pour choisir les évêques : aucun évêque n’est choisi puis nommé par Rome sans qu’une enquête approfondie sur sa personnalité, ses mœurs, sa pensée, son tempérament, sa droiture ne soit menée. Force est de constater de l’échec de certaines de ces enquêtes sur certains prêtres dont des comportements répréhensibles sont passés à travers les mailles du filet.

On dit aussi que les dossiers internes des prêtres sont régulièrement expurgés de certaines pièces embarrassantes. Cela se sait en interne. Le rapport de la Ciase l’a prouvé. Sans souhaiter l’enfer de dossiers parfaits où la moindre lacune de tel prêtre serait répertoriée comme dans le meilleur des systèmes totalitaires, on peut espérer une tenue pour le moins rigoureuse des dossiers des candidats à l’épiscopat qui ne passe pas pour pertes et profits des actes graves ou des crimes impliquant des mineurs. L’impunité épiscopale n’est pas soutenable, les évêques ne peuvent échapper à la responsabilité en prise directe, que tout le monde vit dans la vie de tous les jours.

Flotte dans toute cette affaire un parfum d’irresponsabilité administrative et collective où un ensemble de gens pourtant très sérieux et droits, plutôt hautement formés, repoussent la responsabilité d’une non-décision de conscience, sur Rome, sur les circuits administratifs et jamais sur eux-mêmes, ou si peu. Comme des ronds de cuir qui se sentiraient – de toute façon et toujours – protégés par le système Eglise. Ainsi de Mgr Blanchet qui se penche vers le « Peuple de Dieu » en estimant qu’il pourrait effectivement être informés. Je n’ai rien contre sa personne, c’est un homme timide à l’évidence, doué de grandes capacités intellectuelles et qui veut le bien mais il a manqué de courage devant le silence que lui a certainement imposé au début le nonce apostolique en lui proposant de remplacer Mgr Santier et manqué de liberté face à sa responsabilité de «vice-président de l’épiscopat» qu’il n’a pas su remettre en jeu, emportant de facto toute l’institution avec lui dans ce «mensonge».

Qui suis-je, journaliste, pour «juger» un évêque ? Mais, comme observateur, je me demande parfois pour qui se prennent certains évêques ? D’où leur vient ce surplomb qu’il n’avait d’ailleurs pas quand ils étaient prêtres? Le pape François a bien raison ici de combattre de toutes ses forces ce cléricalisme, mélange d’autoritarisme et de peur des réactions de l’extérieur. Des évêques, censés être fondamentalement du niveau des apôtres directs du Christ pourraient peut-être donner l’exemple de la conscience et du courage de dire non. Certains l’ont fait dans cette affaire comme Mgr Dominique Lebrun à Rouen qui est le premier à avoir dit stop publiquement à l’omerta sur Mgr Santier ce qui a pris de court la conférence des évêques qui ne voulait pas que l’affaire Santier explose avant l’assemblée des évêques de Lourdes, début novembre.

On a l’impression de voir une nouvelle génération d’évêques «technos», bien de leur époque du reste, mais qui manquent de caractère. Des prélats qui ouvrent volontiers les parapluies pour ne pas gâcher, qui sait, leur chance d’accéder à un poste plus élevé dans l’Église où l’ambition personnelle existe. Ou qui ont peur, peur de Rome. La peur, sentiment qui s’est étrangement répandu depuis quelques années suite aux méthodes musclées du pape François.

Enfin, dans ces affaires Rome a été accusé d’imposer le secret. Il a toujours commode d’accuser le rang supérieur. Mais qui à Rome ? Le nonce apostolique à Paris ? le dicastère pour la doctrine de la foi ? Il serait sain de porter à la connaissance du «peuple de Dieu» le schéma de décision et que les vrais responsables que l’on ne connait toujours pas d’ailleurs, sinon l’évêque de Créteil qui savait, tant les effets de cette crise sont graves. Cette affaire, en effet, n’est anodine. L’illusion de maitriser l’information : un schéma vaut mieux qu’un long discours, j’ai un peu honte de le dire après une aussi longue lettre ! Mais tous les communicants savent que les situations de crises requièrent des messages courts, simples, clairs, nets. Les nuages de mots des discours de Lourdes auraient grand avantage à être parfois remplacés par des communiqués brefs, incisifs et sans aucune ambiguïté.

Par ailleurs l’hypothèse que je soulève dans cette lettre selon laquelle un scandale permet d’en «chasser» un autre, est une erreur stratégique magistrale. Le «peuple de Dieu» puisque ce mot a été remis au goût du jour par François et qu’il est donc dans les discours épiscopaux, a bon dos mais le «peuple de Dieu» n’est pas idiot. Le niveau moyen d’études des pratiquants aujourd’hui, surtout citadins mais partout, équivaut largement à celui d’un prêtre devenu évêque. Jouer à cache-cache dans l’illusion de maîtriser aujourd’hui l’information est anachronique. Les réseaux sociaux courent plus vite que les agences de presse. Il est devenu quasiment impossible de « tenir » une information. Ne parlons pas d’un scandale. Tôt ou tard, il sort. Par ailleurs les gens – les mobilisations des laïcs l’ont démontré – font parfaitement la différence entre une affaire touchant une personne et une affaire mettant en cause une institution, la conférence des évêques en l’occurrence. Et, quels que soient les tours de passe-passe qui n’ont peut-être pas existé, mais tout de même l’épiscopat à tout fait pour retarder la sortie de l’affaire Santier après la conférence de Lourdes…, les gens ne se laissent pas tromper. L’ancrage de la culture du secret : c’est sans doute le fil directeur de toute cette affaire, son fil rouge. La culture du secret, est une glu, elle empêtre les évêques. Ils semblent avoir pris à Lourdes des mesures pour encore réduire cette culture du secret, cet «entre soi», tant à Rome, qu’entre eux. Cela reste à voir.