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Dans L’Homme nouveau du 12 février, l’abbé Barthe analyse le message de la CEF pour l’élection présidentielle :

[…] C’est avec une grande humilité et beaucoup de prudence que la Conférence des Évêques « ose néanmoins partager [sa] présente réflexion ».

Prudence par le fait que le document ne donne ni de consignes de vote, ni surtout de contre-consigne (déjà pour le second tour de l’élection de 2017, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, la CEF s’était abstenue de donner des contre-indications, alors qu’en 2002 beaucoup d’évêques avaient demandé de ne pas voter pour Jean-Marie Le Pen).

Prudence en écartant tout soupçon de connivence avec Éric Zemmour, qui invoque l’héritage chrétien de la France : l’expression « identité nationale », un des grands thèmes de la campagne, n’est pas prononcée par les évêques ; il est demandé aux candidats de ne pas « tirer parti » de ces situations mi- gratoires ; et si les « dérives européennes » sont condamnées, c’est parce qu’elles peuvent favoriser les « replis nationalistes ».

Prudence en ne parlant plus d’« accueil inconditionnel » des migrants (comme l’avait fait Mgr Aupetit en 2018), mais seulement d’« accueil ajusté », en légitimant la « régulation des flux migratoires ».

Prudence en évoquant « le respect de la structure familiale et de la vérité de la filiation », ce qui vise implicitement leur non-respect par les lois sur les « mariages » homosexuels, la PMA, la GPA, que les évêques réprouvent aussi au nom de l’« écologie intégrale ». Prudence même dans les préconisations sociales, pour lesquelles les évêques, loin de prendre de la distance avec le capitalisme universellement triomphant, se contentent de suggérer en une phrase : « Toute politique économique, toute vision de la production, de la consommation et de la distribution doivent chercher à proposer des solutions concrètes pour que notre société française soutienne tous ses membres et que notre pays contribue à la justice à l’échelle internationale. » Clairement évoqué cependant est le fait que « la société française se sent menacée et aspire à plus de sécurité face au terrorisme et à la violence sociale », cette violence s’exerçant contre « la police, la gendarmerie et même les pompiers ». Cette défense épiscopale de la police stigmatise implicitement les territoires dits de « non-droit ».

Le message épiscopal pourrait donc sembler assez ténu. Avec force, cependant, il morigène l’abstention électorale : « Si la décision de voter blanc peut avoir du sens, s’abstenir de voter est un manquement à la responsabilité qui incombe à chacun à l’égard de tous. » La raison est celle par laquelle est justifiée classiquement la posture dite de ralliement, c’est-à- dire de franche adhésion à la démocratie libérale moderne telle qu’issue de la Révolution (démocratie qui n’a que le nom de commun avec la démocratie d’Athènes, ou avec les républiques des cités italiennes du Moyen Âge) : « Assumer cette responsabilité est un devoir qui demeure même dans des institutions toujours imparfaites et toujours perfectibles. » Institutions qui sont ainsi présumées n’être pas mauvaises dans leur source, et dès lors amendables, même si le déroulement de l’histoire enseigne tout le contraire.

Il semblerait pourtant facile, sans se livrer à des provocations contre- productives contre des institutions où la « volonté générale » remplace la référence à la loi divine, de désigner les racines des monstrueuses atteintes à la loi naturelle qu’elles produisent crescendo, par l’expression de Jean- Paul II dans Centesimus Annus, celle de « structures de péché ». Le Conseil permanent préfère se référer à la défense très énergique de la vie qui s’est manifestée contre la pandémie, et avancer que l’on pourrait faire de même pour la vie naissante.

Pour préserver autant qu’elle peut être entendue aujourd’hui la doctrine du Christ-Roi, le document eût dû s’abstenir tant de traiter « des religions », sans distinction entre celle du Christ et les autres, que d’invoquer en leur faveur l’application de la « laïcité à la française ». Mieux encore, il eût pu défendre sobrement la liberté de l’Église. On croit comprendre que c’est au secours de l’islam que viennent les évêques en demandant qu’on ne sacrifie pas le dialogue « sur l’autel de la peur ou, dans certains cas, de visées électoralistes ».

Ce n’est donc pas une surprise, l’épiscopat accepte en substance la société politique moderne, laquelle pourtant piétine la loi naturelle de manière criminelle et ne présente rien qui, même de loin, pourrait se rattacher à la régence du Christ. Sauf à regretter certaines évolutions (hyper-présiden- tialisation ?) : « Il n’est d’ailleurs pas illégitime de se demander si les modifications apportées à nos institutions ces dernières décennies ont vraiment favorisé une amélioration de leur fonctionnement et une participation plus effective des citoyens à la vie politique. »

Cette participation est en effet un devoir, qui tient à la nature de l’homme, être politique. Faut-il pour autant réduire ce devoir à adhérer, sauf réserves marginales, à un système intrinsèquement étranger au catholicisme ? Faut-il que l’obligation morale principielle soit le vote démocratique, qui peut certes avoir une utilité instrumentale, au même titre par exemple que de manifester contre une loi qui attente à la loi naturelle ? Dans un cas comme dans l’autre, ne faudrait-il pas apprendre aux catholiques à prendre du recul en leur rappelant que le respect de la loi de Dieu ne dépend pas du décompte des voix ou des manifestants ?

Le document contient en son n° 10 une étonnante affirmation, qui aurait rendu saint Thomas plus que perplexe : « La communauté humaine n’est pas une création du politique mais elle lui préexiste : le politique est au service de cette communauté et lui permet d’accomplir ce pour quoi elle est faite. » Cette conception pourrait relever d’un libéralisme – que nos contemporains respirent comme l’air – méfiant à l’égard du politique et oubliant que la société politique est première pour les hommes qu’elle rassemble. Car elle est ce corps social nécessaire pour procurer le « vivre bien », c’est-à-dire selon la vertu : « En effet, si les hommes s’assemblent, c’est pour mener une vie bonne, ce à quoi chacun isolément ne pourrait parvenir. Or, une vie bonne est une vie selon la vertu, la vie vertueuse étant la fin du rassemblement des hommes en société » (saint Thomas, De regno, livre I, chapitre XIV). Des évêques pourraient-ils réfléchir sur la manière de dire cela aujourd’hui ? Pour l’instant, le document du Conseil permanent ne contient aucune mention de Jésus- Christ.