Analyse pertinente d'un de nos lecteurs sur la situation de l'Ukraine et des accords en cours
Il est malaisé de s’exprimer sur le dossier ukrainien, sans déchaîner un torrent d’émotions négatives.
Ce qui se laisse comprendre, étant le coût humain atroce de cette guerre. Toutefois, si nous renonçons à l’approche rationnelle, que reste-t-il ?
La presse cette semaine, dont le britannique Telegraph, que l’on a connu mieux inspiré, taxe les velléités américaines d’exiger le remboursement des centaines de milliards investis en matériel de guerre pour l’Ukraine, d’ "étranglement” de l’Ukraine par les États-Unis ". La comparaison, explique le Telegraph, s’impose avec les réparations exigées de l’Allemagne par le traité de Versailles après la Première guerre mondiale. Des ‘réparations’ d’autant plus abjectes, explique le Telegraph, que l’Ukraine est en l’occurrence la victime (!) et non l’agresseur.
Ce qui nous montre en effet que lorsqu’il s’agit de l’Ukraine, les barrières rationnelles s’effondrent. Trump exige le remboursement des sommes pharaoniques avancées à l’Ukraine. Discutons la pertinence de cette demande — ou son calendrier — mais voyons que la comparaison n’est évidemment pas avec les réparations exigées de l’Allemagne après la Première guerre mondiale, mais avec le remboursement demandé au Royaume-Uni après la Deuxième guerre mondiale. À l’époque, les Etats-Unis avancèrent 7.5 milliards US$ au Royaume-Uni — ce qui correspond à 130 milliards US$ de nos jours. On est donc bien dans la ligne des avances faites à l’Ukraine, de l’ordre de 300 milliards US$. Et le Royaume-Uni a bel et bien remboursé ce prêt de Roosevelt à Churchill, le dernier paiement intervenant en 2006 !
L’essentiel est de voir qu’une entente Ukraine/USA sur le remboursement de la dette ukrainienne est le moyen le plus sûr de voir l’Amérique s’impliquer en Ukraine pendant des décennies — donc de garantir sa sécurité. On ne laisse pas occire un débiteur qui vous doit 300 milliards. Dette dont le remboursement passera par l’exploitation du sous-sol ukrainien. Cette suggestion de Trump, sortie de son chapeau et à la manière du new yorkais, est probablement la meilleure nouvelle de la semaine pour l’Ukraine — la seule.
L’erreur
Contrairement à ses prédécesseurs, Trump reconnaît que l’OTAN s’était engagée à ne pas s’étendre au-delà de l’Allemagne de l’Est. Simple rappel historique factuel dont l’énonciation vous vaut depuis trois ans l’épithète de ‘poutiniste!’ censée vous discréditer à jamais. Restons calmes. Les données historiques sont avérées, l’engagement de celui qui était alors Secrétaire d’État de Bush Sr, James Baker, est public et sans ambiguïté, et fut confirmé par le secrétaire général de l’Alliance Atlantique.
Le 9 février 1990, lors d’une rencontre au Kremlin, James Baker s’entretient avec Mikhaïl Gorbatchev. Selon des mémorandums déclassifiés — publiés notamment par les National Security Archives en 2017 — Baker pose une question clé : « Préféreriez-vous une Allemagne unifiée hors de l’OTAN, indépendante et sans troupes américaines, ou une Allemagne unifiée liée à l’OTAN avec l’assurance que la juridiction de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce [not one inch eastward] à l’est de sa position actuelle ?» Gorbatchev répond que « toute extension de la zone de l’OTAN est inacceptable ». Baker réplique:« Nous sommes d’accord avec cela.»
C’est du révisionnisme puéril que prétendre que cet engagement, maintes fois réitéré, n’existe pas, ou n’est pas ‘juridiquement valable’ parce qu’il n’existe aucun traité pour le confirmer : 90% du droit international est tissé de lois tacites (soft laws), c’est-à-dire d’engagements unilatéraux, d'accords passés entre personnes fiables (gentlemen’s agreement) et autres résolutions. « Ah, mais ! C’était l’URSS ! Pas la Russie ! » : pinaillage débilitant. Si on veut traiter, on prend quand même aussi un tout petit peu en compte la perception de l’adversaire.
Ligne rouge
Il eût fallu écouter Georges Kennan et Henry Kissinger qui expliquaient, dans les années 90, que prendre avantage de la faiblesse de la Russie pour masser l’OTAN à ses frontières était un mauvais calcul. L’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN était la ligne rouge absolue de la Russie, comme cela fut constamment répété par Moscou, bien avant que Vladimir Poutine ne s’approche du pouvoir. Ce tropisme n’est en rien ‘poutinien’ : il est russe, et permanent comme la constante de Planck. Comme l’a montré Bob Woodward dans War, jusqu’à la veille de l’entrée des troupes russes en Ukraine, les Russes firent valoir qu’un engagement clair sur l' absence d'adhésion du pays à l’alliance atlantique était de nature à dénouer la crise. Ni Biden, ni Blinken, ni Sullivan ne voulurent rien entendre.
En reconnaissant cette ligne rouge, Trump accomplit objectivement un pas vers la possibilité d’une paix négociée. Ce qui est d’autant plus intéressant qu’il exige par ailleurs de l’Ukraine un remboursement dont les modalités mèneront naturellement la puissante Amérique à garantir de fait la sécurité de ce qui restera de l’Ukraine. Ce qui semble-t-il n’a pas échappé aux conseillers du président russe, inquiets que Trump n’obtienne par d’autres voies l’arrimage de l’Ukraine, certes réduite, à l’Occident.
Il est tentant de gloser à présent sur la défaite totale, dans cette affaire, des soi-disant élites généralement qualifiées de globalistes. L’Ukraine n’entrera pas dans l’OTAN, l’Europe est au bord de l’effondrement économique, les nains européens se réunissent en urgence à Paris, mais ne sont d’accord sur rien : le Français veut envoyer des troupes en Ukraine, l’Allemand s’y refuse, l’Anglais ne l’envisage qu’avec ‘un soutien américain’. Aucune mesure concrète n’a été décidée : pas une. Zéro.
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