Bâtir la Cité par l'abbé Barthe (corispondanza romana)
La dimension politique de la défense du droit naturel. Le cas de la France
Nous rapportons un article de Don Claude Barthe publié simultanément sur le site de L'Homme nouveau et sur le site de Res Novæ .
L'avalanche de lois « socio-structurelles » en France depuis un demi-siècle, toutes attaques directes contre le droit naturel, a conduit, dans une partie du monde catholique, à une délégitimation généralisée ou explicite des institutions politiques qui les ont promulguées, dans leur intégralité. de la vague d’individualisme d’après 1968 ; et à une sorte d’explosion en vol de l’Église dans son état conciliaire.
Le « mariage » homosexuel et la constitutionnalisation de l’avortement ont aggravé le climat chez ces mêmes catholiques. D’où la question : que faire ? En France, la Manif pour tous , contre le « mariage » homosexuel, et la Marche pour la vie, contre les lois sur le « droit » à l'avortement, ont mobilisé un énorme militantisme catholique. Malheureusement, ils n’ont pas réussi à abroger ou à modifier les lois en question, même si celles-ci ont eu un impact notable en termes de témoignages publics et ont produit un certain degré de cohésion des groupes qui s’y opposent dans une société hostile. Mais l'effet ne pourrait-il pas être plus grand, sinon quantitativement, du moins qualitativement ?
Le résultat a été un débat lancé par le bimensuel L'Homme nouveau , qui s'est conclu par un article de son directeur Philippe Maxence, dans lequel il a demandé de donner la priorité à la question de la sortie de la démocratie moderne, citant les propos du message radio. de Pie XII de juin 1941 : « Le bien ou le mal des âmes dépend de la forme donnée à la société, qu'elle soit en harmonie ou non avec les lois divines ».
Dans la lignée de Philippe Maxence, nous souhaitons proposer quelques réflexions sur les fruits majeurs que pourrait produire cette lutte catholique : au moins un début de remise en question de la source institutionnelle du problème, mais aussi plus immédiatement de ses métastases dans l'Église, et, par conséquent, une consolidation du monde catholique tout entier dans sa détermination à faire régner le Christ dans les institutions.
La désintégration progressive de la moralité publique au nom de la « loi nouvelle » ( Immortale Dei, 1885)
La Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 consacre une rupture révolutionnaire : dès lors, le pouvoir n'émane plus de Dieu, comme le dit saint Paul en Romains 13, 1, mais « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » ( art. 3), et la loi, « expression de la volonté générale » (art. 6), est privée de sa référence à la loi de Dieu.
Cependant, tous les éléments de l’ordre social traditionnel n’ont pas disparu d’un seul coup et des pans entiers du droit naturel sont restés, par exemple, dans la législation sur le mariage et la famille, qui, à l’exception du divorce, n’ont été profondément remises en question que dans les années 1960. Il n’en reste pas moins qu’en principe la société politique avait brusquement cessé de répondre aux principes du droit naturel et chrétien. Et cette innovation se manifeste dès août 1792.
La journée du 10 août, consécration de la Révolution, fut immédiatement suivie par la loi du 30 août 1792 qui institua la « dissolution du mariage par le divorce », puis par la loi du 20 septembre 1792 qui institua la laïcisation de l'état civil et du mariage, étant donné que le mariage civil est le seul mariage reconnu par la loi. Sous le Consulat, s'ajouta à cela l'obligation de faire précéder les mariages religieux d'un mariage civil (loi du 10 Germinal de l'An Cette disposition tyrannique à l'égard de la liberté de l'Église n'a jamais été abrogée, pas même avec la séparation de l'Église et de l'État en 1905 : la célébration des mariages religieux en France reste subordonnée à la célébration des mariages civils.
La Restauration réaffirme l'indissolubilité du mariage et abolit le divorce avec la loi du 8 mai 1816, obtenue par Louis de Bonald qui, contre les Lumières, considérait le mariage « la pierre angulaire de la société » et le divorce « un poison révolutionnaire ». Restauré par la Troisième République, avec la loi Naquet du 27 juillet 1884, le divorce connaît par la suite quelques modifications, notamment la possibilité de décider par consentement mutuel des époux (loi du 11 juillet 1975).
Mais c’est dans la dernière partie du XXe siècle que commencent à s’accumuler les lois « socio-structurelles » contre le mariage et la famille (nous n’évoquerons pas ici celles contre la liberté d’éducation, qui est en soi un sujet plus complexe) :
- La loi Neuwirth du 9 décembre 1967 qui autorise la vente et l'utilisation des méthodes contraceptives en France.
- Et encore, même si l'atteinte qu'elle portait à la protection de la famille était dénoncée à l'époque par quelques-uns, comme le juriste Henri Mazeaud, la loi du 3 janvier 1972, qui posait le principe de l'égalité des enfants légitimes et naturels dans en matière de succession (une loi du 3 décembre 2001 leur a accordé, y compris aux enfants adultères, une égalité complète).
- La loi sur "l'interruption volontaire de grossesse", adoptée à titre expérimental le 20 décembre 1974, confirmée en 1979 puis prorogée à plusieurs reprises.
- La loi du 15 novembre 1999 instituant le Pacte civil de solidarité (PACS), qui a permis ce que les sociologues appellent une « nouvelle forme de conjugalité », tant pour les couples formés par un homme et une femme que pour les couples de même sexe.
- La loi Taubira du 17 mai 2013 qui ouvre le mariage aux couples de même sexe et leur permet « l'adoption homoparentale ».
- La loi du 2 août 2021 qui ouvre l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires.
- La loi du 20 février 2022 qui ouvre l'adoption aux couples non mariés.
- La loi constitutionnelle du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse.
- Et bientôt la loi qui autorisera l'euthanasie.
Définir le droit de tuer un enfant innocent comme l'un des droits fondamentaux représente symboliquement une sorte d'aboutissement de l'affirmation de la suprématie de la « volonté générale » sur la volonté divine. Mais ni la protestation contre ce sanctuaire démocratique, ni celle contre l'avortement ne doivent faire oublier les précédentes attaques contre nature contre la famille : la loi Taubira, la loi PCAS, la loi Neuwirth, la loi Naquet. Commentant le chemin parcouru, Yves-Marie Adeline écrivait dans un article du Courrier des Stratèges du 4 mars 2024 : « Nous y sommes enfin : en réalité, cette constitutionnalisation marque la plénitude de la démocratie, c'est-à-dire d'un régime dans lequel le citoyen ne reconnaît aucun lien supérieur à lui, aucune loi d'Antigone, mais seulement la Liberté ."
La tentation de rapporter les conséquences sans remonter aux causes
Ces soi-disant lois – « parce que les lois injustes sont bien plus violentes que les lois » (Saint Thomas, Summa Theologica,, I à II æ , q. 95, a. 2, et q. 96, a. 4) – ont été approuvées par les représentants nationaux en vertu du principe même de leur souveraineté. Il est possible de faire pression sur eux, au nom du témoignage et de l'action concrète, pour tenter de faire revenir ces décisions, comme le font les manifestations syndicales. Mais il faut être conscient que nous sommes dans le domaine du réformisme, qui dans certains cas peut obtenir des résultats, certes temporaires, mais toujours valables. Surtout si la pression devient particulièrement forte : les deux plus grandes manifestations de la Manif pour tous en janvier et mars 2013 ont été très impressionnantes et rappellent celles du Mouvement pour l'école libre de 1984, qui avait mis le gouvernement à genoux ; mais à la grande différence que le Mouvement pour l'école était finalement un mouvement au sein du monde démocratique, un bras de fer entre sa droite, avec son électorat catholique, et son aile gauche.
Il n’en reste pas moins que ce qui est en cause dans ces lois, c’est leur principe, c’est-à-dire que la possibilité de violer le droit naturel (dissolubilité du mariage, stérilisation des femmes pour accomplir des actes sexuels, avortement) est une question de « volonté générale ». Il ne suffirait donc pas de simplement faire pression sur le pouvoir politique pour qu’il modifie les mauvaises lois, même si – ce qui n’est pas le cas – cela produisait un effet temporaire.
L'insuffisance fut sensiblement la même dans les différents épisodes de mobilisation que les autorités ecclésiastiques exhortèrent les catholiques à mener dans la lutte contre les lois anticléricales. Il s’agissait essentiellement d’une action réformiste à grande échelle : intégrer les institutions laïques pour les empêcher d’adopter de mauvaises lois. Cela n’a pas eu le succès escompté. Soyons clairs : nous ne disons pas qu'organiser des pressions par des manifestations ou d'autres moyens sur les pouvoirs démocratiques pour abroger une loi est un acte de ralliement , mais seulement que l'insuffisance des deux approches est identique si elle n'est pas accompagnée, d'une manière ou d'une autre. un autre, de la condamnation de principes injustes qui permettent l'approbation de lois injustes.
L'occasion manquée de la Manif pour tous : libérer le mariage religieux du mariage républicain
Si l’on veut exercer une pression, même à travers des manifestations, il faut inclure, le plus explicitement possible d’un point de vue pédagogique, l’objectif final, quoique lointain, du rétablissement d’une société institutionnellement chrétienne. En effet, si le catholique cohérent vit, gagne son pain en exerçant une activité professionnelle, éduque ses enfants, organise sa vie religieuse, au sein d'une société intrinsèquement étrangère à l'ordre naturel et chrétien, il doit orienter toutes ses actions (ou éventuellement ses abstentions) ), comme lignes d’une conception prospective, vers l’objectif, aussi lointain et aussi purement utopique, de supprimer ce qui a tenu lieu de cité chrétienne.
Prenons l'exemple de l'occasion manquée de Manif pour tous . L'opposition des catholiques à la loi Taubira voulait empêcher le mariage dit entre personnes de même sexe d'entrer dans la législation sur le mariage civil. En fin de compte, ces catholiques se sont battus pour un « bon » mariage républicain conforme au droit naturel, du moins sur ce point, puisque le mariage républicain prévoit la possibilité du divorce.
Comme nous l’avons déjà mentionné, la législation sur le mariage civil est l’un des aspects de la tyrannie imposée à l’Église catholique par le caractère laïc de l’État. Elle oblige les époux catholiques (sous peine de sanctions pénales pour le ministre du Culte) à subir, avant de se donner mutuellement le sacrement qui est pour eux le seul mariage ( Code de droit canonique , can. 1055), une cérémonie civile au cours de laquelle ils font ne reconnaît aucune valeur, mais sans laquelle les droits civils liés à l'institution du mariage ne seraient pas reconnus (qui se réduisent aujourd'hui, il est vrai, à faire des donations entre époux et à exercer des droits mutuels en matière de succession).
Il aurait donc fallu expliquer clairement le cadre dans lequel les catholiques, en tant que membres de la communauté, devaient s'exprimer contre le « mariage » homosexuel :
– D'une part, leur opposition n'était en aucun cas l'exercice d'une liberté d'opinion démocratique, mais un devoir moral de témoigner contre la violence , qui ne pouvait en aucun cas prendre le caractère de droit .
– En outre, cette nouvelle dérive du mariage républicain par rapport au droit naturel leur a offert une opportunité historique de négocier la reconnaissance de la cérémonie sacramentelle du mariage comme la seule nécessaire aux catholiques, comme cela se produit en Italie et en Espagne, et aussi en Angleterre sous certaines conditions, où le mariage religieux est automatiquement considéré comme un mariage civil. Demander cette libération du mariage religieux du mariage civil, devenu on ne sait quoi, aurait signifié passer de manière très concrète de la critique de la loi à la critique de la source de la loi. Le simple fait de présenter cette demande fondamentale, même si elle n’avait pas abouti, aurait poussé bien plus loin la critique de cette loi spécifique.
Il est clair que seuls les évêques français avaient le pouvoir de négocier la libération du mariage religieux avec les autorités. Ils pourraient encore le faire, mais ce serait beaucoup plus difficile.
Tout cela nous amène à constater que, de manière générale, la pression exercée par les militants catholiques devrait également s'adresser aux pasteurs de l'Église, trop dociles à l'égard du pouvoir, au moins autant qu'à l'égard des détenteurs du pouvoir politique. et les auteurs de lois oppressives ou pénales. Tout comme les Vendéens exigeaient que leurs seigneurs prennent les devants, l’objectif premier des militants catholiques pour la royauté du Christ devrait être de faire en sorte que leurs pasteurs prennent les devants dans leurs revendications contre une société laïque, au nom de la liberté de l’Église. D'autant que la pression exercée par ces catholiques contre l'assassinat d'innocents n'atteindra probablement pas le niveau de celle exercée par les Cristeros mexicains contre les lois sur les persécutions religieuses...
Par ailleurs, force est de constater que la passivité de ces évêques ou, à de notables exceptions près, la faiblesse de leurs interventions, est une des causes, et non des moindres, de l'impuissance catholique. En effet, les pasteurs de l’Église ont généralement abandonné toute tentative de reconstitution d’une société institutionnellement chrétienne. Quelle que soit l’interprétation que l’on puisse donner au texte de Vatican II sur la liberté religieuse, il n’en demeure pas moins que la doctrine du Christ Roi a été purement et simplement abandonnée par les dirigeants de l’Église.
Appeler les évêques à redevenir défenseurs de la Ville
On évoque souvent le rôle de « défenseurs de la ville » que jouèrent les évêques lorsque l'Empire romain s'effondrait sous les coups des invasions barbares. En effet, les pasteurs de l'Église ont vocation à assumer le soutien de ce qui peut renaître dans la Ville, lorsque ses structures naturelles s'effondrent. Une chose est sûre : aujourd'hui l'Église, et elle seule, est capable de faire briller la vérité aux yeux des hommes de bonne volonté « comme une lampe dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour se lève » ( 2 P 1,19 ). .
Quoi qu’il en soit, les évêques sont des prédicateurs moraux nés. La prédication morale est intrinsèquement politique, puisqu'elle vise à l'amendement de l'homme, qui est par nature un être social. Par ailleurs, la prédication morale est aujourd’hui, par la force des choses, devenue une prédication politique antimoderne.
Il faut ajouter qu'on a trop facilement tendance à réduire le droit naturel à la discipline de la morale familiale, surtout à dire que, tout compte fait, c'est sur la morale naturelle ainsi comprise que peuvent se rencontrer tous les hommes de bonne volonté, et qu'il s'agit de cette morale naturelle que la démocratie doit respecter. C'est le principe qui a inspiré la note doctrinale sur certaines questions concernant l'implication et le comportement des catholiques dans la vie politique , publiée par la Congrégation pour la doctrine de la foi le 24 novembre 2002, qui, d'une part, présentait la laïcité et la non-politique. confessionnalisme de l'État comme un fait (« Promouvoir le bien commun de la société, selon la conscience, n'a rien à voir avec le « confessionnalisme » ou l'intolérance religieuse » - n. 6), mais qui, en revanche, affirmait que le laïc l'État jouit d'une « autonomie de la sphère politique ou civile par rapport à celle de la religion et de l'Église – mais pas par rapport à celle de la morale ». A cet égard, la Note évoque ensuite les « principes non négociables » que doivent défendre les chrétiens engagés en politique (défense de la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme ; liberté d'éducation ; protection des mineurs ; libération des formes modernes de l'esclavage ; droit à la liberté religieuse ; économie au service de la personne et du bien commun).
Mais cet argument avait deux points faibles :
– postule que la démocratie moderne doit se soumettre au droit naturel, qui lui est indifférent car fondé sur le principe de transcendance de la volonté générale. S'il s'y soumet, ce n'est qu'accidentellement, selon l'état de l'opinion à un moment donné.
– néglige le fait que l'obligation de la société humaine d'adorer Dieu fait partie de la loi naturelle. Ainsi Léon XIII, dans Immortale Dei (1er novembre 1885) : « Dans tout type d'État, les princes doivent avant tout garder le regard fixé sur Dieu, souverain suprême du monde, et le proposer comme modèle et norme dans le gouvernement du monde. communauté [...] Il est clair qu'une société établie sur ces fondations doit absolument satisfaire aux nombreux devoirs solennels qui la lient à Dieu par des manifestations publiques de culte. La nature et la raison, qui commandent à chacun de rendre à Dieu des actes pieux et dévots d'hommage, puisque nous sommes tous en son pouvoir et que nous tous, issus de lui, devons revenir à lui, imposent la même loi à la société civile. […] Il est donc nécessaire que la société civile, établie pour le bien commun, dans la poursuite de la prospérité de l'État, veille à ce que les citoyens, dans leur marche vers la conquête de ce bien suprême et immuable vers lequel ils tendent naturellement, non seulement soient en aucun cas gênés, mais sont favorisés à chaque occasion. [... Et cela dans la] seule vraie [religion qui] est celle que Jésus-Christ lui-même a fondée et confiée à son Église pour défendre et propager ". Et Pie
Aussi utopique qu'une telle affirmation puisse paraître aujourd'hui, elle constitue néanmoins une sorte d'épine dorsale de toutes les revendications en faveur de l'application de la morale naturelle (respect de la vie innocente, indissolubilité du mariage, etc.) aux droits de l'homme. En effet, si l'on veut parler de « principes non négociables », le « principe non négociable » par excellence, qui doit commander, habiter et préciser chaque action des catholiques dans la Ville, même si sa réalisation concrète sera sans doute très lointaine, voici celle-ci : la Cité de l'homme doit être soumise à Dieu et l'honorer publiquement, et, une fois que cette Cité a fait l'expérience du « baptême » chrétien, elle a vocation de le faire comme telle.
Don Claude Barthe
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