La Constitution civile du Clergé. Bref du pape PIE VI 10 mars 1791
Un peu d'histoire ecclésiastique ne fait pas de mal pour juger les actes du pontife régnant.
Se défendre à partir d'un texte de Vatican II est tout à fait puérile lorsque l'on connaît la gravité de l'enjeu. Il est nécessaire de connaître ceux qui ont agi avant pour connaître l'esprit qui anime ceux d'aujourd'hui.
Ce qui paraîtra presque incroyable, c’est que, dans le moment où l’on s’empare des biens des églises et des prêtres catholiques, on respecte les possessions que les ministres protestants, ennemis de l’Église, ont autrefois envahies sur elle, et cela sous le prétexte des traités. Sans doute que l’Assemblée nationale regarde les traités faits avec les protestants comme plus sacrés que les canons ecclésiastiques, et que le concordat passé entre le Chef de l’Église et François Ier.
Et il lui a plu de faire cette faveur aux protestants, précisément au moment où elle dépouillait le clergé catholique. Qui ne voit que le principal objet des usurpateurs, dans cette invasion des biens ecclésiastiques, est de profaner les temples, d’avilir les ministres des autels, et de détourner à l’avenir tous les citoyens de l’état ecclésiastique ? Car à peine avaient-ils commencé à porter les mains sur cette proie, que le culte divin a été aboli, les églises fermées, les vases sacrés enlevés, le chant des divins offices interrompu. La France pouvait se glorifier d’avoir vu fleurir dans son sein, dès le sixième siècle, des chapitres de clercs réguliers, comme on peut s’en convaincre par l’autorité de Grégoire de Tours [81], par les monuments que dom Mabillon a rassemblés dans un ouvrage intitulé : Recueil choisi des pièces anciennes [82], et le témoignage du troisième Concile d’Orléans, tenu en 538 [83] ; mais elle pleure aujourd’hui l’abolition et la ruine de ces pieux établissements injustement et indignement proscrits par l’Assemblée nationale. La fonction principale des chanoines était de payer chaque jour un tribut commun de louanges à l’Être-Suprême, par le chant des psaumes. Paul le Diacre, dans les Vies qu’il a écrites des Évêques de Metz (tom. XIII, Biblioth. PP. edit. Lugd., p. 321), nous en fournit la preuve. On y lit : que « l’évêque Chrodegand avait non-seulement formé son clergé par l’étude de la loi de Dieu, mais qu’il avait eu le soin de lui faire apprendre le chant romain, et qu’il lui aurait enjoint de se conformer aux usages et à la pratique de l’Église romaine. »
L’empereur Charlemagne ayant adressé au Pape Adrien Ier un ouvrage sur le Culte des images pour le soumettre à son examen, ce Pape profita de cette occasion pour engager l’empereur à établir sans délai l’usage du chant dans plusieurs Églises de France, qui refusaient depuis longtemps de suivre en ce point la pratique de l’Église romaine, afin, disait ce pape, que ces mêmes Églises qui regardent le Saint-Siège comme la règle de leur foi, le regardent encore comme leur modèle dans la manière d’honorer la divinité. La réponse de Charlemagne se trouve en entier dans l’ouvrage de George, sur la Liturgie du Souverain Pontife [84]. Le même empereur établit en conséquence une école de chant dans le monastère de Centule, aujourd’hui Saint-Riquier, sur le modèle de celle que S. Grégoire le Grand avait établie à Rome ; il y pourvut à la nourriture de cent jeunes gens, qui, divisés en trois classes, devaient aider les moines dans le chant et la psalmodie [85]. Coloman Sanftl, religieux bibliothécaire du monastère de St-Emmeran à Ratisbonne, vient à l’appui de toutes ces autorités, dans une dissertation qu’il a composée depuis peu de temps, et qu’il Nous a dédiée, sur un très-ancien et très-précieux manuscrit des saints Évangiles, que l’on conserve dans ce monastère [86]. « Dans l’origine, dit cet auteur, les Évêques de France et d’Espagne donnèrent tous leurs soins à établir dans chaque province un rit uniforme pour les offices divins. Le recueil des canons faits par les Évêques de ces deux royaumes, contient plusieurs lois sur cette matière. Le règlement le plus célèbre à cet égard est celui du quatrième Concile de Tolède, tenu l’an 531. Les pères de ce Concile, après avoir fait une exposition de la foi catholique, n’eurent rien plus à cœur que d’établir pour les Églises une manière de chanter uniforme. Ce règlement est l’objet du deuxième canon. » Le P. Mabillon, dans ses Recherches sur la liturgie gallicane, parle à peu près de même de l’importance et de l’antiquité de cet usage [87].
Un rit que l’Église gallicane, dans les siècles même les plus reculés, avait établi et maintenu avec un si grand soin, pour fixer les ecclésiastiques dans l’état de chanoine par des fonctions honorables, un rit qu’elle regardait comme propre à nourrir la piété, à exciter la dévotion des fidèles, et les inviter, par l’attrait du chant et l’éclat des cérémonies, à remplir les devoirs de la religion, et a mériter par là de nouvelles grâces ; l’Assemblée nationale, non sans un grand scandale, vient, par un seul décret, de l’anéantir, de le supprimer et de l’abolir ; et en cela, comme dans tous les autres articles du décret, elle a adopté les principes des hérétiques, et notamment les opinions insensées des Wiclefistes, des Centuriateurs de Magdebourg et de Calvin, qui se sont élevés avec fureur contre l’usage du chant ecclésiastique, et ont osé en nier l’antiquité. La réfutation de ces hérétiques est le sujet d’un grand ouvrage composé par le P. Martin Gerbert, abbé du monastère et de la congrégation de Saint-Blaise, dans la forêt Noire [88]. Nous avons eu occasion de voir plusieurs fois cet auteur estimable à Vienne, en 1782, pendant le séjour que Nous y avons fait pour l’avantage de la religion, et Nous avons reconnu par nous-même combien il est digne de la grande réputation qu’il s’est acquise.
Nous ne pouvons que conseiller aux auteurs de ce décret de lire attentivement les anathèmes prononcés par le Concile d’Arras, en 1025 [89], contre les ennemis du chant ecclésiastique, afin qu’une honte salutaire les fasse rentrer en eux-mêmes. « Qui peut douter, dit le saint Concile, que vous ne soyez possédés de l’esprit immonde, puisque vous rejetez comme une superstition l’usage de la psalmodie établi dans l’Église par l’Esprit-Saint. Ce n’est pas des jeux et des spectacles profanes, mais des Pères de l’Ancien et du Nouveau Testament que le clergé a emprunté le ton et les modulations de cette musique religieuse… Ainsi ceux qui prétendent que le chant des psaumes est étranger au culte divin, doivent être bannis du sein de l’Église…; de tels novateurs sont parfaitement d’accord avec leur chef, c’est-à-dire avec l’esprit de ténèbres, source de toutes les iniquités, et qui cherche à dénaturer, à corrompre par de malignes interprétations le sens des saintes Écritures, quoiqu’il en connaisse le vrai sens. » Enfin, si la gloire de la maison de Dieu, si la majesté du culte est avilie dans le royaume, le nombre des ecclésiastiques diminuera nécessairement, et la France aura le même sort que la Judée, qui, au rapport de saint Augustin [90], lorsqu’elle n’eut plus de prophètes, tomba dans l’opprobre et l’avilissement, au moment où elle se croyait à l’époque de sa régénération.
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