Le Terrorisme pastoral

Le Terrorisme pastoral

La parole est au cardinal Brandmüller

 

Conférences épiscopales et déclin de la foi. Comment inverser le cap

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Brandmuller

 

 

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 Walter Brandmüller

Dans sa Lettre aux Romains, l'apôtre Paul met en garde les chrétiens : « Ne vous conformez pas à ce monde… ». L’avertissement concerne sans aucun doute le style de vie de tout bon chrétien, mais il concerne aussi la vie de l’Église en général. Et cela vaut non seulement pour les contemporains de l'apôtre, mais pour toute l'Église de tous les temps, donc même aujourd'hui. C'est dans ce contexte que se pose la question : la conférence épiscopale est-elle - comme on le dit souvent - un organe de collégialité épiscopale selon les enseignements du Concile Vatican II ?

Avant de répondre à cette question, il faut se référer à l'organe authentique et originel de collégialité : le conseil provincial. Cette dernière était l'assemblée des évêques d'une province ecclésiastique donnée en vue de l'exercice commun du ministère pédagogique et pastoral.

La province ecclésiastique, quant à elle, est le résultat d'un processus historique : la filiation. Grâce à l'évangélisation, partie d'une église épiscopale, de nouveaux diocèses ont été créés, dont les évêques étaient ordonnés par l'évêque de l'Église mère. De là est née – et c’est encore le cas aujourd’hui – la structure métropolitaine, la province ecclésiastique. Ce n’est donc pas le fruit d’un simple acte bureaucratico-administratif, mais d’un processus organique sacramentel-hiérarchique. La pratique de la filiation est la « traditio in actu », ou la tradition en action. L'objet de la tradition n'est pas seulement l'enseignement, mais toute la réalité de l'Église ; cela prend forme au synode provincial. Et c’est précisément en cela que s’enracinent son autorité pédagogique et pastorale, ainsi que le caractère contraignant de la législation synodale.

La conférence épiscopale se démarque cependant de manière fondamentale de tout cela. Il s’agit plutôt de l’assemblée des évêques dont les diocèses – en général – sont situés sur le territoire d’un État laïc, d’une nation.

Le principe organisationnel de la conférence épiscopale n’est donc pas de nature ecclésiologique mais politique.

L’objectif initial de la conférence épiscopale était – et devrait continuer à être – de débattre et de décider des questions concernant la vie de l’Église précisément dans ce cadre de référence politique. De l'histoire et des objectifs de la conférence épiscopale, il ressort qu'il s'agit principalement de la gestion des relations entre l'Église et l'État et le contexte social dans lequel elle vit.

Mais depuis le XXe siècle, des évolutions concrètes ont amené la conférence épiscopale à s’occuper également – ​​sinon surtout – de questions internes à l’Église.

A l'appui de cette pratique, on fait référence au numéro 23 de la Constitution conciliaire "Lumen gentium", où cependant il est seulement dit en marge que la conférence épiscopale peut apporter "une contribution multiple et féconde pour que le sens de la collégialité soit concret réalisé".

C’est précisément de ce texte que le jeune théologien Joseph Ratzinger a cru pouvoir tirer la thèse selon laquelle la conférence épiscopale pourrait être considérée comme la concrétisation actuelle de la structure synodale de l’Église primitive (dans : JC Hampe, « Ende der Gegenreformation. Das Konzil : Dokumente und Deutung », Mayence 1964, 161 s. ; titre : « Konkrete Formen bischöflicher Kollegialität »).

C'est ensuite l'expérience des évolutions post-conciliaires qui le conduit, désormais préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, à une vision désillusionnée et plus critique de la conférence épiscopale. Entre-temps, en effet, des conférences épiscopales s'étaient établies partout et, surtout en Europe, elles avaient développé des formes et des procédures qui leur donnaient l'apparence d'un corps hiérarchique intermédiaire entre le Saint-Siège et l'évêque individuel.

Les conséquences de cette façon de voir ont été absolument négatives. L’appareil bureaucratique des conférences épiscopales s’est de plus en plus approprié même les questions qui concernaient chaque évêque. Ainsi, sous prétexte de réglementations uniformes, la liberté et l’autonomie des évêques individuels ont été – et continuent d’être – mises à mal. Ratzinger parle aussi dans ce contexte d'esprit de groupe, de conformisme et d'irénisme, d'ajustements, au nom de la paix, qui peuvent déterminer l'action des conférences épiscopales. Il critique avec une insistance particulière la prétention d'autorité enseignante de la conférence épiscopale. […]

Ainsi Ratzinger observe également que les évêques se sont souvent opposés à la création d’une conférence épiscopale, estimant que cela limiterait leurs droits.

Le fait est que le renvoi d'un évêque individuel au moyen d'un appareil bureaucratique étouffant est une source de grande inquiétude, contre laquelle Jean-Paul II a immédiatement mis en garde avec le Motu proprio "Apostolos suos" du 1er mai 1998. Cette inquiétude est tout simplement d'autant plus grand que le pouvoir pastoral de l'évêque est directement de droit divin. […]

Ce qui mérite cependant plus de critique, c’est le concept d’une conférence épiscopale nationale, dans une Église « de toutes tribus, langues et nations ». […] Il n'est pas surprenant que les papes n'aient pas reconnu les conciles nationaux en France sous Napoléon Ier ou qu'ils aient empêché la tenue d'un concile national en Allemagne l'année de la révolution 1848. Mais c'était surtout à cause du danger que - à l'instar de l'"ecclesia Gallicana" de l'Ancien Régime - il puisse y avoir de véritables Églises nationales qui, dans une union plus lâche avec le Siège de Pierre, vivaient leur propre vie réglée par l'État.

En fait, la création d'un organisme national entraîne l'assouplissement, voire la dissolution, de la « communio » de l'Église universelle, qui trouve alors son expression dans des réglementations nationales particulières. Elle est vécue de la manière la plus évidente dans la liturgie ; il suffit de penser à l'introduction des langues nationales. […]

De même, comme cela s'est produit récemment, les interprétations contradictoires que diverses conférences épiscopales ont données de l'exhortation apostolique « Amoris laetitia » du pape François du 19 mars 2016 constituent une grave attaque contre l'unité de la foi dans l'Église […].

Dans le contexte de ces développements les plus récents, une nouvelle réflexion sur la nature et la fonction de la conférence épiscopale apparaît urgente. Tout d’abord, il est absolument nécessaire d’examiner le contexte dans lequel est née l’institution de la conférence épiscopale, ainsi que ses débuts. Dans cette phase, l'Église a dû s'orienter dans un contexte socio-politique radicalement modifié suite à la révolution de 1789. Par la suite, en contraste total avec l'idéal révolutionnaire de liberté, l'État autoritaire idéologiquement libéral a été établi et, à l'époque, le même caractère oppressif a été créé. de la Restauration, qui voyait l'Église tout au plus comme un organe du « gendarme des religions » chargé de maintenir la paix et l'ordre parmi le peuple. On ne peut guère parler de « libertas ecclesiae », ou de libre développement de l'Église. Cependant, pour créer des espaces d'action et rendre possible la vie ecclésiastique dans cette situation, il fallait des projets et des actions communs de la part des évêques, et plus précisément les actions de l'Église "ad extra", ou dans le domaine politique et social. contexte. Pour créer cette communion dans l’engagement pour la liberté de l’Église, la conférence épiscopale s’est avérée une nécessité.

Cela reste inchangé et a même augmenté, compte tenu des conditions de sécularisation de plus en plus totalitaire des États et des sociétés modernes.

Cependant, ce qui semble approprié dans ces circonstances est de concentrer, ou plutôt de limiter, les compétences de la conférence épiscopale aux questions qui concernent les relations « ad extra » de l'Église. Celles-ci coïncident en grande partie avec les questions réglementées par des accords. La manière d'agir de la conférence épiscopale doit également correspondre à ce type de finalité, qui peut certainement être celle d'organisations laïques ou d'entreprises : donc des conférences épiscopales comme des « réunions d'affaires ».

Le synode provincial, dont les pouvoirs consultatifs et décisionnels concernent la vie de l'Église « ad intra », était et reste fondamentalement différent de la nature « ad extra » de la conférence épiscopale. Doctrine de la foi, sacrements, liturgie et action pastorale : tels sont l'objet authentique de l'exercice collégial du ministère pédagogique et pastoral par les évêques d'une association d'Églises particulières, c'est-à-dire d'une province ecclésiastique sous la présidence du métropolitain. Leur autorité d’enseigner et de diriger ensemble découle directement de leur ordination épiscopale. Elle repose donc sur des fondements sacramentels.

C'est précisément de là qu'il ressort que le synode provincial n'est pas une « réunion d'affaires » cléricale, mais un événement sacré : « Car là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Matthieu 18, 20). . Cela est encore plus vrai pour l’assemblée synodale des successeurs des apôtres. Cette intuition a conduit au développement de formes liturgiques pour de telles assemblées synodales. C'est ainsi qu'est né l'Ordo de celebrando concilio, dont certaines formes anciennes ont été transmises dès le VIIe siècle, remontant probablement à Saint Isidore de Séville. […] La présence de laïcs était également souhaitée. […] Les résultats furent signés par tous les évêques et présentés au peuple pour approbation. […]

Malgré quelques variantes, cette procédure est suivie depuis six cents ans. Même la dernière édition, publiée en 1984 sous le titre « De conciliis plenariis vel provincialibus et de synodo diocesano », contient des dispositions correspondantes, qui reprennent des éléments fondamentaux de la tradition. En fait, s’il était mis en œuvre, le caractère théologico-liturgique du synode ressortirait effectivement.

Ce synode ou concile provincial est, en effet, déjà une liturgie en soi, étant une forme sacrée de l'exercice du ministère pédagogique et pastoral basé sur l'ordination des évêques assemblés. Mais aujourd’hui, cette prise de conscience a évidemment largement disparu, de sorte que pendant longtemps le synode, le conseil provincial, a largement cédé la place à la conférence épiscopale. Ce fait est à la fois l’expression et la cause d’un processus rampant de sécularisation de l’Église aujourd’hui.

Pour pouvoir enfin y mettre un terme - et c'est une question de survie - il faudrait aussi, entre autres, une séparation claire des fonctions et des domaines de compétence de la conférence épiscopale et du synode, ainsi que la restauration du synode comme forme sacrée de l'exercice de la « sacra potestas » épiscopale fondée sur les sacrements. À cette fin, l’actuelle « Caeremoniale episcoporum » serait également d’une grande aide.

En fait, si - "sperando contra spem" - nous parvenions à faire revivre cette forme authentique d'action épiscopale collégiale, ce serait un pas important vers l'objectif de désécularisation et donc de réanimation spirituelle de l'Église, notamment en Europe.

 

 

 

 



01/11/2024
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