Le pape qui vient de loin -1
Le pape qui vient de loin - 1
Avis : ces pages sont denses. Les informations qu’elles contiennent sont essentielles pour comprendre le nouveau pontificat.
Nous dirions que le Pape François a été façonné par quatre causes principales.
A La puissance du rayonnement de la théologie de la libération, le libérationisme, dans toute l’Amérique latine
B L’influence du contexte argentin de prêtres tels que Pablo Tissera, Lucio Gera et Rafael Tello.
C La théologie du peuple élaborée en Argentine, véritable version « soft » du libérationisme.
D L’expérience personnelle du père puis cardinal Jorge Bergoglio.
Faute de tenir compte de ses facteurs et sans doute d’autres moins faciles à analyser, il nous semble impossible de comprendre les orientations papales actuelles.
1 On n’a aucune idée de la formidable puissance idéologique du libérationisme toujours à l’œuvre sur le continent Latino-américain.
Les premières communautés de base ont été créées au début des années 1970. Un des créateurs, aujourd’hui évêque auxiliaire de Salvador de Baïa, Mgr Joao Carlos Petrini, les décrit comme initialement un lieu d’évangélisation et de travail, une réalité fraternelle d’entraide qui reconnaît le Christ comme point de départ et d’inspiration.
La révolution a trouvé là un outil parfait en le pénétrant et en le détournant de sa fin. Les Communautés ecclésiales de Base sont devenues des lieux de formation de cadres dans la lutte démocratique contre la dictature. Les CeB revendiquent ensuite une opposition radicale à l’Eglise institutionnelle alliée de la dictature.
On comprend aisément que ce modèle ait rencontré un succès phénoménal dans tous les pays latino-américains toujours entre deux dictatures.
Mgr Petrini déclare sans hésiter qu’il s’agit d’un suicide de l’Eglise.
Le libérationisme et les CeB ont bénéficié de tous les appuis financiers, idéologiques, ecclésiastiques, venus du monde entier depuis plus de trente-cinq ans. Ils ont aujourd’hui des radios, des journaux, des imprimeries, des livres, des émissions de télévisions des réseaux à travers le monde entier. Un appareil de propagande très supérieur à celui de l’Eglise catholique. Ils bénéficient de rencontres mondiales subventionnées et cela n’a pas cessé avec l’effondrement de l’empire soviétique, au contraire !
Les thèmes se sont renouvelés, la révolution est la même !
Un des meilleurs connaisseurs du libérationisme, Federico Müggenburg, rapporte dans un article du 23 juin 2014 le fait suivant : « Au cours d’une conférence de presse après le petit déjeuner avec le pape François au Vatican, le Président du CELAM (Conseil Episcopal Latinoamericano), l’archevêque Carlos Aguilar Retes, a considéré que la Théologie de la Libération « était très ancienne, peut-être déjà morte » (esta muy anciana, si no es que ya esta muerta »).
Cet archevêque ne sait pas de quoi il parle. Federico Müggenburg rappelle à ses lecteurs que le dernier Congrès des théologiens de la libération qui s’est déroulé du 7 au 11 octobre 2012 a réuni 733 participants dont 533 d’Amérique du Sud ; 15 évêques catholiques tous brésiliens sauf deux un chilien et un mexicain et trois anglicans. Parmi les évêques il y avait Xavier de Maupeou évêque français émérite (Voir les articles précédents). Tout ce beau monde était conseiller par Gustavo Gutiérrez ; Leonardo Boff a donné une brillante conférence sur le thème : Théologie de la libération et préoccupation écologique. On est passé de l’alphabétisation révolutionnaire pure et dure à l’alphabétisation écologique. Mais l’objectif est le même.
Aussi lorsque le cardinal Bergoglio présente à l’auditoire des évêques de tout le continent réunis à Aparecida le bilan de l’Eglise en Argentine, il ne peut échapper à l’emprise du modèle libérationiste.
Nous donnons ci-après des éléments de ce bilan, le « VOIR » de l’Archevêque de Buenos Aires et Président de la Conférence épiscopal d’Argentine.
« Nous sommes en train de laisser derrière nous une époque et nous en commençons une nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Ce changement d’époque a été généré par les énormes sauts qualitatifs, quantitatifs, accélérées et cumulatifs dus au développement scientifique, aux innovations technologiques à leurs applications très rapides et variées dans les domaines de la nature et de la vie. Nous sommes dans l’ère de la connaissance et de l’information. Celui qui possède et utilise ces deux éléments est le maître du pouvoir.
Cette nouvelle réalité des sciences et des technologies de l’information et intercommunication cybernétiques favorise le développement global de l’univers financier, de l’économie de la production et du marché principalement à l’intérieur du nouvel ordre économique mondial de profil néolibéral, du marché libre et ouvert. Cette globalisation, comme idéologie économique et sociale, a affecté négativement nos secteurs les plus pauvres. Les injustices et les inégalités sont chaque fois plus grandes et plus profondes. Tout est rapporté au jugement de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le plus puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées.
Il ne s’agit pas seulement d’un phénomène d’exploitation et d’oppression, mais de quelque chose de nouveau : avec l’exclusion qui s’attaque à la racine même de l’appartenance à la société dans laquelle on vit : on est déjà au plus bas, à la périphérie, sans pouvoir et même en dehors. Les exclus ne sont pas « exploités » mais « de trop ».
Les sept pages de l’intervention sont des variations sur ce thème. Le plus souvent désespérées.
La seule espérance évoquée est dans « les espérances de dialogue et de travail œcuméniques avec les églises historiques et les communautés évangéliques sérieuses en vue du soutien et de l’accompagnement du peuple dans les moments critiques, à partir du plan économique, où nous avons eu des répercussions au niveau social et de la convivialité urbaine ».
Nous avons relu le texte plusieurs fois pour trouver d’autres « espérances » ; il n’y en a pas. Et dans le passage cité nous avons l’équivalent d’un adjectif verbal, « esperanzadoras », porteuses d’espérances. « Son esperanzadoras las experiencias de dialogo y labor ecuménico… ».
Les laïcs ne sont pas préparés à leur fonction et « ils ne rencontrent pas dans les Eglises d’espace pour s’exprimer et agir à cause de la proximité d’un excessif cléricalisme ( souligné par nous) qui les maintient à la marge des décisions et d’une participation plus active ». (La réforme de la Curie verra une structure nouvelle inspirée de cette situation).
Nous ajoutons à notre affirmation un texte immédiatement postérieur (Entretien à La Nacion du 7 décembre 2014) à ce que nous venons d’écrire.
Les commentateurs ont foncé tête baissée sur les affaires des divorcés remariés où le traitement réservé au cardinal Burke.
Pour graves qu’elles soient ces affaires ne sont pas les points importants de l’entretien. Les divorcés remariés c’est pour le synode prochain et le cardinal a été éliminé…
En revanche, l’entretien précise l’enracinement de l’action du pape dans le modèle latino-américain : « Quelles sont nos propres raisons, internes à l’Eglise, qui font que les fidèles ne se sentent pas satisfaits ? C’est la faute du manque de proximité et le cléricalisme. La proximité, c’est l’appel d’aujourd’hui au catholique à sortir et être proche des gens, de leurs problèmes, de leurs réalités. Le cléricalisme, on l’a dit aux évêques du CELAM à Rio, freine la maturité laïque en Amérique Latine. Là où les laïcs sont le plus conscients en Amérique Latine c’est précisément dans l’expression de la piété populaire. Mais les organisations laïques ont toujours eu le problème du cléricalisme ».
Les vocations sont en déclin à cause d’une société superficielle et de l’absence de ferveur apostolique des communautés peu enthousiasmantes pour susciter des vocations. Les nouvelles générations font preuves de fragilité et de manque de conscience qui conduit dans certains cas à la désertion du ministère peu de temps après l’ordination.
Les clercs et les religieux sont près des pauvres mais beaucoup sont isolés et recherchent des relations personnelles dans l’Eglise ; d’autres se sédentarisent et s’embourgeoisent. (aburguesamiento).
Les paroisses ont une prédominance à l’administratif sur le pastoral et à la distribution des sacrements sans évangélisation.
La pastorale familiale est victime de la société « dans laquelle le mariage comme sacrement a perdu beaucoup de valeur. Un défi pour les pasteurs et les agents pastoraux est celui de quelques situations matrimoniales qui empêche de recevoir le sacrement de mariage et l’Eucharistie … » (voir le Synode).
Le catéchisme n’est pas assez biblique. « La pastorale biblique ouvre des espaces pour une plus ample formation et un accroissement spirituel du peuple de Dieu »
Ce qui en soi est légitime mais devient ultra dangereux car c’est une revendication du libérationisme… et que par exemple le président de l’Institut national de la Pastoral de la Conférence des évêques brésiliens n’est autre que le jésuite A. Brighenti super champion du libérationisme.
La piété populaire est un point d’ancrage qu’il faut comprendre respecter et évangéliser. Le cardinal en connaît les limites.
Enfin, le cardinal souhaite un renforcement « de la communion avec la Trinité dans l’Esprit du Christ qui guérit, promeut et affermit les liens personnels dans les expressions nouvelles d’amour d’amitié et de communion au niveau familial, social et ecclésial. Là se situent aussi la nécessité d’une intense communion ecclésiale ad intra qui entraîne la rénovation pastorale organique diocésaine et nationale, ainsi que l’exigence d’un service ad extra pour que la communion de l’Eglise anime une plus grande intégration latino-américaine. »
Nous ne le dirons jamais assez.
Le libérationisme n’est pas dans la dialectique marxiste- léniniste. Il est dans une révolution qui se fonde sur une analyse socio-économico- écologique préalable à tout changement de la société et de l’Eglise.
Aussi lorsque le cardinal Bergoglio reprend l’opposition de la lutte des classes sans y adhérer, son discours rencontre exactement celui du libérationisme. Lorsqu’il dénonce l’injustice de la société et la crise culturelle, ce n’est pas nouveau. En revanche, comme dit le peuple de Dieu, c’est au pied du mur qu’on voit le maçon. Or, depuis 1992, date à laquelle il devient évêque auxiliaire de Buenos Aires, jusqu’en 2012 date à laquelle il devient pape, il n’a pas su ou pas pu enrayer les phénomènes de décadence généralisée de son diocèse.
Aparecida n’a rien changé.
Cinq ans après, le 5 juillet 2013, il s’adresse au comité de Coordination du CELAM. Il pose six questions pour la rénovation interne de l’Eglise.
1 Notre travail et celui de nos prêtres est-il plus pastoral ou plus administratif ?
2 Promouvons-nous des espaces et des occasions pour manifester la miséricorde de Dieu ? Sommes-nous conscients de notre responsabilité de ré-établir des attitudes pastorales et le fonctionnement des structures ecclésiales, cherchant le bien des fidèles et de la société ?
3 Faisons-nous participer les laïcs à la mission ?
4 Les conseils paroissiaux de pastorale et des affaires économiques « sont-ils des espaces réels pour la participation des laïcs dans la consultation, l’organisation et la planification pastorale ?
5 Avons-nous conscience et certitude de la mission des fidèles ? Leur donnons-nous la liberté pour qu’ils aient un discernement conforme à leur statut de disciple dans la mission qui leur ait confiée par le Seigneur ?
6 Les agents de la pastorale et les fidèles en général, se sentent-ils comme appartenant à l’Eglise, s’identifient-ils à elle, la rapprochent-ils des baptisés distants ou éloignés ?
A ces questions il ajoute une description des tentations du disciple missionnaire. La presse a mentionné sans intelligence quelques-unes d’entre elles.
1Le réductionisme socialisant… Il embrasse les champs les plus variés depuis le libéralisme de marché jusqu’à la classification marxiste.
2 L’idéologisation psychologique. Il s’agit d’une herméneuttique élitiste qui en définitive réduit « la rencontre avec Jésus Christ » et son développement ultérieur à une dynamique d’autoconnaissance.
3 La proposition gnostique. Elle veut donner à des groupe d’élites une proposition de spiritualité supérieure, assez désincarnée qui se terminent en postures pastorales de « quaestiones disputatae ».
4 la proposition pélagienne ou restaurationisme qui recherche une solution dans la discipline… En Amérique Latine on trouve dans des petits groupes, dans de nouvelles Congrégations religieuses une tendance à la « sécurité » doctrinale et disciplinaire. C’est fondamentalement statique, même s’ils promettent une dynamique interne : involutive. Ils cherchent à récupérer un passé perdu. (Voir les Franciscains de l’Immaculée)
5 Le fonctionnalisme, il réduit la réalité de l’Eglise à la structure d’une ONG. Il constitue une sorte de ‘théologie de la prospérité » dans l’organisation pastorale.
6 Le cléricalisme. Il s’agit d’une complicité pécamineuse entre le curé et le laïc…. Il existe sur nos pays une forme de liberté laïque à travers les expériences du peuple ; le catholique comme peuple On voit là une plus grande autonomie en générale saine qui s’exprime fondamentalement dans la piété populaire.
Quelle est la pensée du Pape sur l’Eglise ?
Dans la partie intitulée « Quelques marques ecclésiologiques » on lit au numéro 2.
« L’Eglise est une institution mais lorsqu’elle s’érige en « centre », elle se fonctionnarise petit à petit et se transforme en ONG. Alors l’Eglise prétend détenir sa propre lumière et abandonne son être de « mysterium lunae » dont nous parlent les Saints Pères. Elle devient chaque fois plus autoréférencielle et affaiblit la nécessité qu’elle a d’être missionnaire. D’ « Institution » elle se transforme en « Œuvre ». Elle cesse d’être Epouse pour devenir Administratrice ; de « Servante » elle devient « Contrôleuse ». Aparecida veut une Eglise Epouse, Mère, Servante facilitatrice de la foi et non contrôleuse de la foi. » (souligné par nous).
La réclamation permanente du cardinal Bergoglio a été contre le défaut des structures civiles, économiques et ecclésiales qui empêche la mission. Aussi, il est clair que son pontificat sera caractérisé par de grands changements dans le gouvernement et la pratique du gouvernement de l’Eglise. Ce que nous voyons n’est qu’un début.
Dans l’entretien à La Nacion, le pape François déclare que ce qui est le plus important pour le moment c’est la réforme des cœurs pour les membres et le personnel de la Curie.
Mais après avoir dit cela, il donne une information capitale sur la réforme de la Curie qui est sa première préoccupation.
« Question : La semaine qui vient il y a la réunion du G-9 [groupe des 9 cardinaux conseillers qui aident le pape dans le processus de réforme de la curie et le gouvernement de l’Eglise ]. Pour 2015, la fameuse réforme de la curie sera-t-elle prête ?
Réponse : Non c’est un processus lent. L’autre jour nous avons eu une réunion avec les chefs de dicastères et on a proposé que soient joints les dicastères des Laïcs, de la Famille et de Justice et Paix. Il y a eu discussion, chacun a exprimé son opinion (cada uno expresso lo que le parecia), et cela viendra à la réunion du G9. C’est dire que la réforme de la curie prendra beaucoup de temps, c’est une affaire complexe…elle se fera à petits pas.
Note : le pape emploie le terme de dicastère (dicasterios) impropre dans le cas des Conseils pontificaux qu’il cite.
Question : Est-ce certain qu’un couple marié puisse être à la tête de ce nouveau dicastère qui réunira les Conseils des Laïcs, de la Famille et de la justice ?
Réponse : Cela se peut, je ne sais pas. A la tête des dicastères ou du secrétariat il y aura les personnes les plus aptes, homme, femme ou couple marié.
Question : Et pas nécessairement un cardinal ou un évêque …
Réponse : A la tête d’un dicastère comme la Congrégation pour le Doctrine de la Foi, celui de la Liturgie ou celui qui réunira (juntara) Laïcs, Famille et Justice et Paix, il y aura un cardinal. Il convient qu’il en soit ainsi à cause de la proximité avec le Pape comme collaborateur dans ces sections. Mais les secrétaires de dicastères n’ont pas à être évêques, parce que le problème que l’’on a ici, est que quand il faut changer un secrétaire-évêque, où va-t-on l’envoyer ? Il faut trouver un diocèse, parfois ils ne sont pas capables de diriger un diocèse, mais ils ne sont capables de faire que leur travail. Je n’ai nommé seulement qu’un évêque secrétaire : le secrétaire du gouvernorat pour qu’il soit le curé de tous et le secrétaire du synode des évêques, (Mgr Bruno Forte), parce que là, l’épiscopalité a une signification. »
Nous aurons l’occasion de revenir sur l’affaire du gouvernement de l’Eglise car elle vient de loin… d’Argentine, d’Allemagne et de la Théologie de la Libération.
Notre conviction est que cette réforme de la Curie va aller vite. Nous le verrons avec la nomination des prochains cardinaux.
A suivre…Le contexte argentin
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