Le pape qui vient de loin - 2
Le pape qui vient de loin – 2
J’étais en train de rédiger cet article sur l’environnement clérical dans lequel a vécu le père puis l’évêque Bergoglio, lorsqu’un ami m’a fait connaître un article de Vatican Insider (La Stampa), du 11 mai 2014, « Carlos Mugica, il martire delle Villas », Carlos Mugica, le martyr des bidonvilles.
Ce Carlos Mugica est l’une des figures que nous avions précisément retenue pour évoquer le contexte politico-religieux dans lequel a évolué et a été formé le pape François.
Précisons d’abord qu’il n’est pas jésuite contrairement à ce qu’affirment certaines biographies rapides.
Carlos Francisco Sergio appartient à une riche famille de la haute société de Buenos Aires. Son père est ancien ministre des affaires étrangères du Président Frondisi et sa mère est la fille d’un latifondiste très fortuné. Il avouera plus tard que le monde des pauvres lui était totalement inconnu dans sa jeunesse.
Dès son jeune âge (Il est né en 1938), il pratique le football, le tennis, la natation et la boxe. Il est également un passionné de cinéma.
Il commence des études de droit en 1949 à l’université de Buenos Aires où il rencontre Roberto Guevara, le frère du Che. Les Guevara étaient également très riches et menaient grand train. Cela nous a été confirmé en 1986 à La Havane par la cousine du Che qui était passée elle aussi au service de Fidel Castro après avoir été religieuse du Sacré Cœur.
A l’occasion d’un voyage à Rome pour l’Année Sainte, il ressent l’envie d’entrer au séminaire, ce qu’il fait en mars 1952. Il est un séminariste scrupuleux, cherchant la perfection et soucieux de sauver son âme. A la chute de Peron, il éprouve une joie incomparable. Lors d’une sortie nocturne il découvre un slogan marqué à la craie « Sans Peron, il n’y a ni patrie ni Dieu. A bas les curés ».
A ce moment il considère que son devoir est de faire face. Au séminaire il est associé au Père Iriarte et visite les immeubles et les maisons de la paroisse sainte Rose de Lima.
En 1957 il écrit pour le journal du séminaire un article sur « Le catholique face aux partis politiques ». Son engagement pour les pauvres, date de cette période. Il accompagne son curé devenu évêque en mission dans le Chaco où la pauvreté provoque le choc de sa vie. Au service de l’archevêque de Buenos Aires, il se lance dans des activités politiques notamment dans le dialogue marxiste – catholique ce qui lui vaut une réplique de l’abbé Mienvielle un des plus remarquables critiques de Maritain. Il enflamme les membres de la JEC, les futurs « montoneros » en se ralliant au « justicialisme » de Peron en citant Che Guevara, Mao et Camillo Torres. (Citaba frecuentemente en sus intervenciones a Mao, Marx, Lenin, al Che).
En 1967, il part en Bolivie pour réclamer le corps du Che et s’enquérir du sort des prisonniers dont Regis Debray.
A la fin de cette année il voyage en France étudie à la Catho à Paris notamment la théologie pastorale avec les dominicains Chenu et Blanquart. Il trouve là d’autres prêtres argentins et assiste en direct à « Mai 68 ». Grâce aux relations de son père, il rend visite à Peron réfugié en Espagne. Avec un faux passeport, via Prague, il séjourne 10 jours à Cuba.
A Paris, il adhère au Mouvement des prêtres pour le Tiers Monde, association de prêtres révolutionnaires.
De retour en Argentine le cardinal lui attribue une paroisse au Retiro où il construit la chapelle « Christ Ouvrier » dans le bidonville « Communicaciones »
Le cardinal interdit aux prêtres de se mêler de politique. Le Père Carlos est entraîné dans des affrontements tels que le cardinal lui propose de le réduire à l’état laïc… ce qu’il refuse. Dans l’œil du cyclone sa vie est en danger. Le 2 juillet 1971 une bombe explose sans tuer personne à son domicile. Il déclare : « Rien ni personne ne m’empêchera se servir Jésus-Christ et son Eglise ni de lutter avec les pauvres pour leur libération. Si le Seigneur me concède le privilège, que je ne mérité pas, de perdre la vie dans cette entreprise, je suis à sa disposition ».
Le retour de Peron accentue son activité politique et on lui propose d’être candidat à la députation ; ce qu’il refuse. Finalement il accepte une place de conseiller au ministère des affaires sociales – sans rémunération-. Mais rapidement il dénonce les détournements de fonds et devient une cible pour les « montoneros » et les péronistes. « Je n’ai pas peur de mourir ; la seule chose dont j’ai peur c’est que l’Archevêque me chasse de l’Eglise ».
Au début 1974 il compose une « Messe pour le Tiers-Monde ».
Le 11 mai 1974 à 8 h 15 du soir il est assassiné en sortant de l’église Saint François Solano où il venait de dire la messe. Chacun accuse l’autre camp : montoneros ou « Triple A » (Acion Argentina Anticomunista). On ne retrouvera jamais l’auteur de l’assassinat.
En mourant le Père Carlos Mugica est devenu le symbole d’une génération et le premier martyre du Mouvement des Prêtres pour le Tiers-Monde.
On peut trouver sur internet d’autres détails sur la vie et les œuvres de ce prêtre.
A deux reprises, au moins, le cardinal Bergoglio puis le Pape François ont émis un jugement sur ce prêtre et son action.
Le 9 avril 1999, le cardinal de Buenos Aires a présidé la cérémonie de translation de la dépouille du père Mugica à la chapelle de Villa Retiro où il avait passé une grande partie de sa vie sacerdotale. Il a à cette occasion demandé aux participants de prier : « Pour la mort du père Mugica, pour ses assassins matériels, pour ceux qui furent les idéologues de sa mort, pour le silence complice d’une grande partie de la société et pour ceux qui, comme membre de l’Eglise, n’ont pas eu le courage de dénoncer les assassins. Seigneur prend pitié ».
Le 14 mars 2014, le pape François s’est adressé dans un message à la Radio Bajo Flores, radio libre, communautaire et alternative qui émet depuis 1996. « El Papa de los Villeros », le Pape des bidonvilles, Il s’agissait de la première interview accordée à un média argentin. Elle a été retransmise dans une sorte de hangar après une messe célébrée sur des tréteaux.
« Le travail des curés des bidonvilles de Buenos Aires n’est pas idéologique mais apostolique et à cause de cela il font partie de l’Eglise même. Ceux qui pensent que c’est une autre Eglise ne comprennent pas ce qu’est le travail dans les bidonvilles. L’important c’est le travail. »
Interrogé sur les curés liés au Mouvement des Prêtres pour le Tiers-Monde (MPTM), qui comme le père Carlos Mugica, étiqueté « communiste » et « subversif », mais rejetant la lutte armée, le Pape répond :
« Ils n’étaient pas communistes (No eran communistas). C’étaient des prêtres de grande valeur (grandes sacerdotes) qui luttaient pour la vie. Ils ont tentés de porter la parole de Dieu avec une pastorale pour les marginalisés. Ce sont des prêtres qui écoutaient le peuple de Dieu et luttaient pour la justice » ;
Il a ajouté : « Priez pour moi j’en ai besoin…Ce dont j’ai le plus besoin c’est que le peuple de Dieu me soutienne ».
Ici, en France, en 2014, qui connaît encore le Mouvement des Prêtres du Tiers Monde ?
Nous allons répondre à cette question. En y répondant nous mettrons en lumière une incroyable ignorance, une transformation de la vérité, consciente ou non, une destruction des repères qui permettent la compréhension de l’histoire aussi bien en Amérique Latine qu’en France.
A suivre … Le pape qui vient de loin - 3
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