Le Terrorisme pastoral

Le Terrorisme pastoral

les Etats Unis et l'Ukraine

 

La véritable raison pour laquelle les États-Unis se

préoccupent tant de l’Ukraine tout en se foutant

éperdument des Ukrainiens, par le général Jean-Bernard

Pinatel

 

Le 6 août. 2014

Les États-Unis, depuis le début des troubles en Ukraine, se sont clairement positionnés contre les pro-russes.

Un soutien aux relents de guerre froide, qui n’a rien à voir avec les intérêts des Ukrainiens.

 

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d’entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques

et d’intelligence économique.

 

Il est l’auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014.

Il anime aussi le blog : Géopolitique-Géostratégie

 

Atlantico : Les États-Unis déploient beaucoup d’énergie pour identifier les auteurs de l’attaque

contre l’avion de la Malaysian Airlines et ont été très prompts à montrer du doigt les pro-russes.

Quel intérêt ont-ils à leur faire porter le chapeau ?

Général (2S) Jean-Bernard Pinatel : Dès la chute du mur de Berlin en novembre 1989, les stratèges et

les hommes politiques américains ont perçu une menace principale : c’est qu’un rapprochement puis une

alliance entre l’Europe et la Russie ne contesterait la suprématie mondiale des États-Unis qui leur permet, en

toute impunité, de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un pays, voire de lui faire la guerre et d’imposer

un droit international conforme à leurs intérêts comme la encore récemment montré l’affaire de la BNP.

Cette réalité incontestable nécessite un rappel historique pour être admise.

Zbigniew Brzezinski

En 1997, l’ancien conseiller national à la sécurité des États-Unis, Zbigniew Brzezinski, publia sous le titre “Le

grand échiquier” un livre où adoptant les deux concepts, forgés par Mackinder, d’Eurasie et de “Heartland”. Il

reprenait à son compte sa maxime célèbre : “qui gouverne l’Europe de l’Est domine l’Heartland ; qui

gouverne l’Heartland, domine l’Ile-Monde ; qui gouverne l’île-Monde domine le Monde“. Il en

déduisait : “Pour l’Amérique, l’enjeu géopolitique principal est l’Eurasie”. Dans une autre publication(1), il

explicitait sa pensée: “Si l’Ukraine tombait, écrivait-il, cela réduirait fortement les options géopolitiques de la

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Russie. Même sans les états de la Baltique et la Pologne, une Russie qui garderait le contrôle de l’Ukraine

pouvait toujours aspirer avec assurance à la direction d’un empire eurasien. Mais, sans l’Ukraine et ses 52

millions de frères et soeurs slaves, toute tentative de Moscou de reconstruire l’empire eurasien menace

d’entraîner la Russie dans de longs conflits avec des non slaves aux motivations nationales et religieuses”.

Entre 2002 et 2004, pour mettre en oeuvre cette stratégie, les États-Unis ont dépensé des centaines de

millions de dollars afin d’aider l’opposition ukrainienne pro-occidentale à accéder au pouvoir. Des

millions de dollars provinrent aussi d’instituts privés, comme la Fondation Soros et de gouvernements

européens. Cet argent n’est pas allé directement aux partis politiques. Il a transité notamment par des

fondations et à des organisations non gouvernementales qui conseillèrent l’opposition, lui permettant de

s’équiper avec les moyens techniques et les outils publicitaires les plus modernes. Un câble américain du 5

janvier 2010, publié sur le site Wikileaks (réf. 10WARSAW7), montre l’implication de la Pologne dans la

transition et l’effort démocratique des anciens pays de l’Est. Le rôle des ONG y est notamment exposé (2).

Les câbles Wikileaks témoignent de l’effort constant et de la volonté continue des États-Unis

d’étendre leur sphère d’influence sur l’Europe de l’Est, comme en Ukraine.

L’Ukraine connaît une véritable guerre civile. Pourtant personne en Occident ne dénonce l’ardeur

avec laquelle le gouvernement ukrainien tente de mater les séparatistes. Quel est le réel intérêt

des Américains à fermer les yeux sur cette réalité et à soutenir le gouvernement ukrainien ?

Qu’ont-ils à y gagner ?

L’État ukrainien est une construction de Staline et n’existe de manière indépendante que depuis 1990, à

l’issue de la dislocation du bloc soviétique. Il n’a existé auparavant qu’entre 1917 et 1921, entre la chute du

Tsarisme en 1917 et la victoire des bolchevicks qui ont éclaté cet Etat naissant en 4 parties. La partie exrusse

de l’Ukraine, avec Kiev pour capitale, berceau historique de la civilisation et de la culture Russe, est

intégrée à l’URSS tandis que la partie ex-autrichienne, avec Lviv pour ville principale, est rattachée à la

Pologne.

La petite Ukraine « transcarpatique » vota son rattachement à la Tchécoslovaquie et quant à la Bucovine, sa

minorité ukrainienne se résigna à son rattachement à la Roumanie.

Mais l’Ukraine n’est pas pour autant une nation. Les Ukrainiens n’ont aucune histoire commune. Bien

au contraire. Durant la seconde guerre mondiale, quand à l’été 1941, l’Ukraine est envahie par les

armées du Reich, les Allemands sont reçus en libérateurs par une partie de la population

ukrainienne. Au contraire à l’Est du pays, ils rencontrent une forte résistance de la part de la

population locale qui se poursuivit jusqu’en 1944. En représailles, les Allemands traquent les partisans,

et brûlent des centaines de villages. En avril 1943, une division SS Galicie est constituée à partir de

volontaires ukrainiens dont les descendants ont constitué le fer de lance des révolutionnaires de la place de

Maïdan (3). Cette division SS a notamment été engagée par les Allemands en Slovaquie pour réprimer le

mouvement national slovaque. Mais les pro-occidentaux ukrainiens et les Américains ont tout fait, à la fin de

la guerre, pour jeter un voile sur les atrocités commises par cette division et ne retenir que le combat

antisoviétique. Néanmoins, les historiens estiment que plus de 220 000 Ukrainiens s’engagèrent

aux côtés des forces allemandes durant la Seconde Guerre mondiale pour combattre le régime

soviétique.

Ce rappel historique permet de comprendre pourquoi la guerre civile est possible et pourquoi la partie des

forces ukrainiennes constituées de soldats de l’Ouest peuvent utiliser chars et avions contre les séparatistes

de l’Est.

Le Président Ukrainien avec la complicité du silence de la majorité des hommes politiques et des

médias occidentaux mène une véritable guerre contre une partie de sa population avec la même

violence que celle que l’on reproche au dictateur syrien. De plus, les forces armées ukrainienne sont

conseillées par des forces spéciales et des mercenaires américains.

Les États-Unis et Obama veulent ainsi provoquer une réaction brutale de la Russie qui pourrait faire renaître

une guerre froide entre l’Ouest et l’Est. Poutine a bien compris le piège que lui tend Obama, “prix Nobel de la

Paix”. Après avoir déconseillé aux séparatistes ukrainiens de faire un référendum, il n’a pas reconnu son

résultat (4) et fait preuve d’une modération qui étonne tous les observateurs indépendants alors que des

chars et des avions attaquent une population russophone.

En quoi l’Ukraine empêche-t-elle la constitution d’un bloc Europe-Russie ? Pourquoi les Etats-

Unis tiennent-ils tant à l’empêcher ?

Les américains n’ont cessé de faire pression sur les européens pour intégrer l’Ukraine et la Géorgie dans

l’OTAN, ce qui constituerait une provocation inacceptable pour la Russie.

Heureusement, les leaders européens ne se sont pas pliés à cette volonté de Washington qui ne servirait que

les intérêts américains. De même, si Poutine cédait à la pression de ses ultranationalistes et intervenait

ouvertement en Ukraine, les Etats-Unis auraient atteint leur objectif stratégique et la guerre froide se

réinstallerait en Europe au détriment de nos intérêts fondamentaux.

Pourquoi l’Europe se soumet-elle ? A-t-elle vraiment un intérêt à souscrire à la stratégie

américaine ?

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Beaucoup de leaders européens ont été formés aux Etats-Unis. Ils sont membres de “Think-Tanks américains

ou transatlantiques” ou de fondations comme “l’American Foundation” qui financent largement leurs

prestations et leurs voyages. L’Atlantisme est certes fabriqué par la conscience que nous partageons

les mêmes valeurs démocratiques avec la nation américaine mais aussi par la multitude

d’intérêts personnels de nombreux leaders européens dont le niveau de vie dépend de leur

soumission de fait aux intérêts de l’Etat américain.

Néanmoins, de plus en plus d’Européens commencent à faire la différence entre l’Etat américain qui est, de

fait, dirigé par des lobbies dont le plus important est le lobby militaro-industriel (5) et la nation américaine

dont les valeurs et le dynamisme économique et culturel possèdent un pouvoir attractif incontestable et qui

reste pour les jeunes européens une magnifique école de vie professionnelle.

Membres de la French American Foundation

Angela Merkel et les Allemands sont à la pointe de cette prise de conscience car ils n’ont toujours

pas accepté l’espionnage industriel permanent auquel la NSA les soumet. De plus, la révélation des

écoutes du portable d’Angela Merkel a fortement choqué le pays. Le Spiegel du 3 novembre 2013 réclamait

même en couverture l’asile politique pour Edward Snowden : « Asil Für Snowden ». Les plus grands

quotidiens européens dont le Monde ont publié de larges extraits de ses révélations.

Le 10 juillet 2014, le gouvernement allemand a annoncé l’expulsion du chef des services secrets américains

pour l’Allemagne, dans le cadre d’une affaire d’espionnage de responsables allemands, au profit de

Washington, une mesure sans précédent entre alliés au sein de l’Otan. “Il a été demandé au représentant des

services secrets américains à l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique de quitter l’Allemagne”, a déclaré le

porte-parole du gouvernement, Steffen Seibert, dans un communiqué. L’expulsion intervient “en réaction

d’un manque de coopération constaté depuis longtemps dans les efforts pour éclaircir” l’activité d’agents de

renseignement américains en Allemagne, a expliqué un député allemand, Clemens Binninger, président de la

commission de contrôle parlementaire sur les activités de renseignement, qui s’est réunie jeudi à Berlin.

En France, l’ancien Premier ministre Michel Rocard, le sociologue Edgar Morin, les anciens ministres Luc Ferry

et Jack Lang ou encore l’ex-eurodéputé Daniel Cohn-Bendit ont lancé une pétition dans laquelle ils demandent

au président François Hollande, à son Premier ministre, Manuel Valls, et au ministre des Affaires étrangères,

Laurent Fabius, d’accueillir Edward Snowden “sans tarder, sous le statut de réfugié politique”.

Malheureusement pour la France et l’Europe, François Hollande qui reste comme une partie de l’intelligentsia

française fasciné par Obama et Laurent Fabius qui a longtemps bénéficié des avantages des fondations

américaines n’ont pas encore pris conscience qu’ils mettaient ainsi en cause les intérêts stratégiques de la

France et de l’Europe.

(1) Traduit de : Zbigniew Brzezinski: “Die einzige Weltmacht – Amerikas Strategie der Vorherrschaft”, Fischer

Taschenbuch Verlag, pp.15/16.

(2) Le National Endowment for Democracy (NED) (en français, Fondation nationale pour la démocratie) est

une fondation privée à but non lucratif des États-Unis dont l’objectif déclaré est le renforcement et le progrès

des institutions démocratiques à travers le monde. La plus grande part de ses fonds provient du département

d’État des États-Unis, avec approbation du Congrès. L’ancien directeur de la CIA, William Colby, déclarait en

1982, dans le Washington Post, à propos du programme de la NED : « Il n’est pas nécessaire de faire appel à

des méthodes clandestines. Nombre des programmes qui [...] étaient menés en sous-main, peuvent

désormais l’être au grand jour, et par voie de conséquence, sans controverse ». William I. Robinson,

Promoting Polyarchy: Globalization, US Intervention, and Hegemony [archive], Cambridge university Press,

1996, 466 p., pp. 87-88.

(3) Il ne faut pas oublier que les manifestants de la place de Maïdan ont contraint un Président pro-russe

démocratiquement élu en 2012 a quitter le pouvoir. Il a été chassé de sa capitale par des manifestants où

l’on a vu se côtoyer des groupes paramilitaires ultranationalistes affichant des signes nazis et qui refusent

l’Europe mais aussi par des citoyens de la classe moyenne (professeurs, étudiants, dirigeants de PME) qui

souhaitent le rattachement à l’Union européenne..

(4) approuvé par 89% des votants

(5) Le budget de Défense américain représentait, en 2013, 640 milliards de dollars. Autant que le Budget

réuni des 9 pays suivants : Chine 188, Russie 88, Arabie Saoudite 67, France 61, Grande-Bretagne 58,

Allemagne 49, Japon 49, Inde 48, Corée du Sud 33. Source SIPRI

8/8/2014 » La véritable raison pour laquelle les États-Unis se préoccupent tant de l’Ukraine tout en se foutant éperdument des Ukr…

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Source : Atlantico.fr

 



11/03/2022
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