Les quatre articles: une escroquerie politique (texte revu et corrigé)
IXe PARTIE : LES QUATRE PRINCIPES : Une arnaque politicienne
« Pour avancer dans cette construction d’un peuple en paix, juste et fraternel, il y a quatre principes reliés à des tensions bipolaires propres à toute réalité sociale. Ils viennent des grands postulats de la Doctrine Sociale de l’Eglise, lesquels constituent “le paramètre de référence premier et fondamental pour l’interprétation et l’évaluation des phénomènes sociaux” » (Evangelii Gaudium 221).
Quels sont-ils, ces quatre principes ? Il y a fort à parier que, même sans avoir lu Evangelii Gaudium où ils figurent aux paragraphes 221, 226, 231 et 234, vous les ayez déjà entendus, tant François aime à les répéter :
1. Le temps est supérieur à l’espace.
2. L’unité prévaut sur le conflit.
3. La réalité est plus importante que l’idée.
4. Le tout est supérieur à la partie.
Mais contrairement aux affirmations du pape, ces principes n’ont rien à voir avec la Doctrine sociale de l’Eglise.
Si l’on se reporte à la référence donnée par le pape (Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise n° 161), on constate immédiatement que le texte ne les évoque ni de près ni de loin.
En revanche, on y trouve au numéro précédent, le n° 160, « les principes permanents de la doctrine sociale de l’Eglise qui constituent les véritables fondements de l’enseignement social catholique », à savoir :
1. Le principe de la dignité de la personne humaine… sur lequel reposent tous les autres principes et contenus de la doctrine sociale.
2 Le principe du bien commun.
3 Celui de la subsidiarité.
4 Celui de la solidarité (numérotés par nous).
Le Compendium précise : « Ces principes (sont) l’expression de l’entière vérité sur l’homme, connue par la raison et par la foi… » Et ajoute : « Au cours de l’histoire et à la lumière de l’Esprit, l’Eglise, réfléchissant sagement au sein de la tradition de foi, a donné à ces principes une base et une configuration toujours plus soignées, les élucidant progressivement, dans l’effort de répondre de façon cohérente aux exigences des temps et aux développements incessants de la vie sociale. »
Le décalage intellectuel et philosophique entre les « principes » de François, qu’il présente comme étant « reliés à des tensions bipolaires », et ceux du Compendium saute aux yeux !
Cette anomalie a été soulignée par le père Giovanni Scalese qui a été entre autres professeur et recteur au Collegio Querce de Florence : « On a du mal à percevoir comment les quatre postulats d’Evangelii Gaudium proviennent des principes permanents de la doctrine sociale de l’Eglise… » (sur le blog de Sandro Magister, 19 mai 2016).
Le père Scalese cite une affirmation du pape lui-même tirée d’Amoris laetitia : « En rappelant que “le temps est supérieur à l’espace”, je voudrais réaffirmer que tous les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des interventions magistérielles. Bien entendu, dans l’Eglise une unité de doctrine et de praxis est nécessaire, mais cela n’empêche pas que subsistent différentes interprétations de certains aspects de la doctrine ou certaines conclusions qui en dérivent. Il en sera ainsi jusqu’à ce que l’Esprit nous conduise à la vérité entière (cf. Jn 16 ,13). »
Il y a entre ce commentaire papal et la théologie de la libération et du peuple un rapport profond, qui permet de comprendre parfaitement le sens de ces propos. Nous sommes en plein modernisme ! Selon le jésuite chilien, Jorge Costadoa, « La considération de l’histoire comme “lieu théologique” est le présupposé le plus important de la théologie de la libération latino-américaine. »
Cela transparaît clairement dans la formule « Jusqu’à ce que l’Esprit… » : grossière identification d’un sens de l’histoire, qui instaure ce relativisme qui est au cœur même des quatre principes !
Comment cela ? Giulio Meattini, un savant moine bénédictin, explique :
« Il n’est (donc) pas étonnant que ces postulats fassent l’objet d’une analyse critique notamment parce qu’ils ne découlent pas du tout de la Révélation divine, et qu’ils n’ont aucun fondement dans la Sainte Ecriture, mais qu’ils sont simplement un produit de l’esprit humain, alors que le pape François les élève audacieusement au rang de principes moteurs de la vie de l’Eglise. »
Pour Meattini, en effet, « On a l’impression que l’affirmation de la supériorité du temps sur l’espace correspond à un intérêt : celui de générer des processus. » Il constate, plus loin : « En tout cas, nous pouvons dire que, à l’enseigne de ce principe, il y a eu un effet : à la suite de l’exhortation post-synodale consacrée à la famille, une série de “processus” a été mise en route : débats, controverses, interprétations diamétralement opposées, polarisations, perplexité de fidèles, de prêtres, incertitudes dans les conférences épiscopales » (Le blog de Sandro Magister, 23 août 2016).
On pourrait y ajouter le synode sur l’Amazonie, la destruction de l’Eglise catholique en Chine, etc.
Mais revenons à la source des « quatre principes » donnée par François lui-même. Dans le Courrier de Rome n° 600 de juin 2017, l’abbé Renaud de Sainte Marie écrivait : « Si on lit le Compendium de la doctrine sociale de 2004 auquel il est fait référence dans l’extrait que nous venons de citer, on ne trouvera littéralement aucun des quatre principes énoncés par le pape. On en déduit que ces quatre principes sont des synthèses intellectuelles qui sont l’œuvre de François lui-même. La seule proximité remarquable entre les deux textes se trouve précisément dans la référence à la notion de temps. On peut déjà faire une constatation, le pape s’appuie sur l’autorité d’un texte publié par l’un de ses prédécesseurs pour donner à ces quatre principes une valeur de référence identique à ceux du Compendium… Les principes de François sont, quant à eux, affirmés de but en blanc et on a peine à les intégrer à l’ensemble relativement cohérent du Compendium… Nous ne croyons pas que les principes soient de fait sortis du Compendium. »
Dès lors, deux questions se posent. Pourquoi le pape se couvre-t-il derrière l’autorité de son prédécesseur ? Que veut-il cacher pour avoir besoin d’une telle garantie, même au risque d’un évident anachronisme ? L’abbé de Sainte-Marie est le seul à risquer une date (note 11, page 2) : « Si l’on en croit les paroles d’un jésuite argentin, Scannone, son confrère Bergoglio se servait de ces quatre principes déjà dans les années soixante-dix. »
Comme beaucoup, nous avons erré pour connaître l’origine de ces quatre principes. Mais après avoir beaucoup cherché nous pouvons confirmer qu’il s’agit d’une arnaque qui fournit une pseudo-armature à toute une partie de la première exhortation pontificale. Le père Scannone avait raison : le pape Bergoglio a fait sienne cette apparence de cohérence intellectuelle autour de « quatre principes » depuis 1974.
Mais avant un retour aux sources indispensable – d’où viennent-ils vraiment, ces principes ? –, il faut comprendre la stratégie pontificale dans son ampleur, telle qu’elle est énoncée aujourd’hui.
L’idéologie conciliaire
Victorieuse au Concile, l’idéologie conciliaire rayonne dans le monde, spécialement en Amérique Latine, dont tous les ténors ont étudié en Europe. Mais après les luttes de décolonisation et la lutte des classes, la révolution dans l’Eglise est marquée par un marxisme trop voyant.
Or pour prendre le pouvoir, le parti moderniste a besoin de troupes pour diffuser cette idéologie selon laquelle le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel ne sont pas distincts mais appartiennent au clergé et aux laïcs, puisqu’ils s’agissent ensemble dans un combat unique pour la justice et les pauvres. Rappelons au passage que dans les partis politiques qui se prétendent porteurs de « justice sociale », le prolétariat est en réalité la masse de manœuvre entièrement soumise au parti.
C’est dans ce cadre que les idéologues argentins ont inventé à partir de leur expérience nationale une catégorie sociologique, un « prolétariat » qu’ils vont baptiser peuple de Dieu. Ils se réclament du Concile et constituent ce « peuple » comme l’avant-garde de la nouvelle Eglise. Ce peuple sera décrété infaillible in credendum car porteur d’un sens de la justice sociale et politique au-dessus de toute autre institution.
Dans cette ligne, le père Bergoglio décrétait en 1974 la séparation entre le magistère de l’Eglise et la dévotion des fidèles pour la Vierge Marie, et entre la foi de l’Eglise et son interprétation historique. Cette innovation inouïe radicalisait encore davantage la théologie du peuple et l’instaurait, si l’on peut s’exprimer ainsi, comme une « théologie première ».
On la retrouve une fois Bergoglio devenu pape. Au mois de juillet 2013, Leonardo Boff, dans un article publié par le journal brésilien, Estadão, résumait à merveille la nouveauté du pontificat, sous le titre « Le pape François, vers un nouveau printemps de l’Eglise ». Il énumérait sept changements : De l’hiver de l’Eglise au printemps, d’une forteresse à une maison ouverte, du pape à l’évêque de Rome, du palais à l’hôtellerie, de la doctrine à l’expérience, de l’exclusion à l’inclusion, de l’Eglise au monde.
Il est clair que ceux qui ont glosé sur le fait que le pape François n’appartenaient pas à la théologie de la libération (ils ont voulu se rassurer à peu de frais !), feraient bien de demander son avis à cet ex-franciscain brésilien qui en est l’un des représentants majeurs !
Nous arrivons ici à l’un des aspects essentiels de cette réflexion. Alors que la TDL-TDP (théologie de la libération – théologie du peuple) avance sous couvert de théologie, de philosophie et de culture, le parti de la théologie du peuple, comme tout parti politique, vise à la conquête du pouvoir. Il recherche donc en Argentine, spécialement, les moyens politiques de gagner le peuple : il n’a qu’à ramasser celui que Perón, présent ou absent d’Argentine, a sacralisé depuis 1945 !
Eduardo de la Serna, prêtre argentin libérationniste, a publié le 19 septembre 2016 le texte d’une conférence qu’il a donnée chez les jésuites à Bogotá. C’est une démonstration théologique sur le caractère libérationniste du « peuple de Dieu » qui se substitue au Corps Mystique du Christ. Il y déclare que dans sa jeunesse le pape François a toujours été proche de « la Garde de Fer », de Juan Perón et qu’à cause de cette proximité on a pu le qualifier de populiste. Evidemment ce mot n’a pas le sens que lui donne la politique française : il s’agit simplement d’une attention particulière portée au peuple en tant que force électorale.
Mais là n’est pas le plus important.
Le plus exceptionnel, et c’est ce qui rend Eduardo de la Serna éminemment sympathique, c’est qu’il ne se contente pas d’affirmer un fait, il en donne la preuve. Et ça change tout !
Les biographes du pape François se recopient en effet et attestent d’une certaine appartenance du pape aux idées péronistes. Mais il s’agit d’allusions et on insiste pour souligner qu’il n’a pas adhéré au mouvement ou… qu’il était jeune !
Voici la note n° 11 publiée par de la Serna à la suite du texte de sa conférence : c’est elle qui nous a mis sur la bonne piste :
« Ses affirmations (celles du pape François) sur le temps et l’espace, la réalité et l’idée, l’unité et le conflit, sont caractéristiques de groupes comme la Garde de Fer. En tant qu’archevêque de Buenos Aires, il les a répétées dans chaque conférence en 2005 (VIIIe Journée de la Pastorale sociale, 25 juin) et en 2010 (“Bicentenaire de la justice et de la solidarité 2010. Nous comme citoyens, nous comme peuple”). »
Cela semble peut-être étrange, mais c’est cette note, ce bas de page qui nous a ouvert la porte derrière laquelle se dissimulait la source de la pratique politique du pape François. Il ne s’agit ni de théologie, ni de philosophie mais de règles empruntées à un parti politique pour conquérir et garder le pouvoir. Ces règles transposées dans le combat libérationniste sont appliquées non seulement pour changer l’Eglise catholique mais surtout pour, à plus long terme, lui donner de nouvelles fondations synodales.
Evidemment, personne ne s’est arrêté à cette note clé de la symphonie pontificale. Personne, même ceux qui, sur place, en Argentine auraient pu nous éclairer.
L’Argentine et le général Perón
Avant d’exposer ce que nous avons trouvé, il nous faut entrer dans la mentalité argentine, dans l’esprit de la nation argentine.
Le caractère argentin est si exceptionnel que l’on ne le retrouve dans aucun autre pays d’Amérique Latine. Les Argentins sont reconnus de ce fait comme une exception parmi les autres nations latino-américaines. Leur façon de prononcer la langue espagnole est aussi unique !
L’attachement des Argentins au général Perón se situe au-delà de toute expression raisonnable. Onze après son exil en 1955, un chauffeur routier pouvait nous déclarer : « Du temps de Perón les ouvriers étaient rois ! »
Plus récemment, en 2002, il n’était pas rare de voir encore des Argentins pleurer au souvenir d’Evita Perón en écoutant la chanson culte : « No llores por mi Argentina, mi alma esta siempre contigo » ; « Ne pleure pas pour moi Argentine, mon âme est toujours avec toi… » Aujourd’hui un Argentin nous déclare que lorsqu’un homme politique ne sait plus quoi dire, il fait une citation de Perón… et il est applaudi à tout rompre !
Fier et tendre, l’Argentin est porté par le rêve du justicialisme de Perón et de celle qui l’incarnait encore cinquante ans après sa mort !
Nous dirions que le péronisme est consubstantiel aux Argentins et que les discours du « conductor » (et non conducator) et ceux de sa femme les ont enchantés, au sens magique. Au mot de « peuple » c’est toute la gloire passée qui resurgit. Le péronisme est à la fois antimarxiste et anticapitaliste ; il est révolutionnaire et socialiste, puis justicialiste (justice + socialisme).
Les agents de la subversion dans l’Eglise argentine n’ont eu qu’à puiser dans un corps de doctrine politique pour adapter la théologie de la libération… au peuple argentin.
Il n’est pas possible de présenter ici l’ensemble du « péronisme ». Nous voulons seulement le situer dans l’histoire de l’Argentine contemporaine. Nous nous contenterons de citations prises dans une thèse de doctorat présentée en 2011 par Alicia Poderti : Perón, la construction d’un mythe politique, 1943-1955, à l’Université nationale de La Plata.
« … les trouvailles sémantiques de ses discours (de Perón), ont rejailli dans la sphère du symbole, avec un vocabulaire et des images qui pourront difficilement être arrachés de la mémoire des Argentins. »
Ailleurs, elle parle de « la métamorphose idéologique des mots ». Cette charge émotionnelle est si forte que, lorsque Perón est chassé du pouvoir en 1955, le nouveau gouvernement prend des lois et décrets pour interdire l’usage de tous mots, images etc., liés à Perón, et punit très sévèrement les contrevenants. Le père du jeune Bergoglio lui aurait interdit de porter les insignes de Perón, dit-on !
La substance sociale, populaire, culturelle, syndicale du péronisme sera entièrement reprise par la « théologie du peuple ». Le journal argentin La Nación publiait ainsi le 9 mai 2001 un article intitulé : « Les curés des bidonvilles : prédicateurs de la théologie du peuple. »
Perón avait inventé la culture populaire face à la culture officielle grâce à des lois comme celles du Front Populaire en France.
« La grande différence entre l’Argentine que nous avons reçue et celle que nous allons remettre aux générations futures est très simple et aussi très profonde, dans la Nouvelle Argentine le peuple décidera de son propre destin », affirmait-il dans son discours du 1er mai 1951. Perón invente aussi « la patrie heureuse », présente encore dans toutes les mémoires !
Quant à Evita, elle compare son mari à Jésus :
« Pourquoi les hommes humbles de mon pays, les ouvriers de mon pays, ne réagissent pas comme les hommes ordinaires, eux ils ont compris et cru Perón ? L’explication est simple, il suffit de voir Perón pour croire en lui, en sa sincérité, en sa loyauté, en sa franchise. Ils le virent et ils crurent. Ainsi se renouvelle ce qui s’est passé à Bethléem il y a 2 000 ans. Les premiers à croire furent les humbles ; pas les riches, ni les sages, ni les puissants. »
Ce langage est compris par tous : « Cada uno en su casa y Dios en la de todos » (Chacun dans sa maison et Dieu dans celle de tous), dit Perón, mais
on se tromperait lourdement si on imaginait avoir affaire à un parti chrétien ! Il est socialiste et révolutionnaire. Il s’adresse plus au cœur qu’à la tête. Les sans-chemises, les « descamisados » sont ses électeurs ! Perón donne le droit de vote aux femmes.
Le conductor conduit son peuple comme Moïse. Il est la loi et les prophètes. Il n’est en rien un inculte. Il est passionné par l’histoire des grands capitaines de l’Antiquité à nos jours.
En février 1947, il fait son premier grand discours devant les délégués au Congrès Général Constituant du Parti Péroniste. La politique est au service de la nation. Le Parti est intelligent, idéaliste et humaniste. Il rassemble les hommes de bonne foi « pour collaborer à notre projet », et « avancer sur le chemin de la vérité et de la réalité ». « Le péronisme est un humanisme en action : unité, tolérance, loyauté, sincérité. » C’est un programme politique complet de 288 pages !
Le 16 juillet 1947, il préside le Conseil de Sécurité de l’ONU et lance un appel aux peuples du monde en faveur du justicialisme, une « troisième position » entre les deux impérialismes nés de la Seconde Guerre mondiale.
Le 9 avril 1949, il prononce le discours sur « la Communauté organisée », fondement philosophique et historique de ce qui va devenir le péronisme. Ce discours est prononcé à Mendoza lors du premier Congrès national de Philosophie.
Il va exceller dans les leçons qu’il donnera lors de la création de L’Ecole Supérieure Péroniste à partir du 1er mars 1951. Cette école est destinée à la formation des cadres du parti justicialiste. Juan Perón y expose l’art de la « conduite politique ». Ces leçons seront regroupées dans un livre, La conducción de la política.
Comme à son habitude il va faire preuve d’une culture historique et politique étonnante ! Il cite Plutarque et Clausewitz, Lycurgue et Darius, Alexandre le Grand et Alphonse le Sage, sans oublier Sénèque. Mais aussi Scheler, Husserl et Heidegger ; Michel Ange, Murillo et Raphael ! Et bien sûr Napoléon.
.
Sa méthode d’exposition est essentiellement militaire : stratégie et tactique.
C’est dans ce recueil qu’apparaît pour la première fois le couple : temps et espace.
Il figure tel quel à la page 33 dans le titre même du chapitre II, « Caractéristique de la conduite moderne » (art politique par excellence de la conduite de la nation vers son unité et sa grandeur) :
« La conduite comme l’histoire doit avoir comme cadre parfait le temps et l’espace ; il doit évoluer avec l’évolution de l’homme, avec l’évolution des sciences et avec l’évolution des arts. Chaque nouvelle découverte altère et modifie la conduite. Pour cette raison, pour pouvoir comprendre la conduite il est nécessaire de se positionner dans des conditions de temps et de lieu. De temps, à cause de l’évolution, de lieu pour les caractéristiques de la conduite elle-même dans un environnement propre. »
Ces notions essentielles seront reprises dans l’important chapitre sur « L’économie des forces ». La notion de temps est valorisée par la comparaison avec la préparation de la « Révolution française qui a été minutieusement et merveilleusement préparée par les encyclopédistes ».
Les articles de Perón, signés Descartes, utilisent également le binôme temps et espace en février et en avril 1951.
Notre propos n’est pas d’entrer dans les détails de cette formation mais de comprendre d’où viennent « les principes ».
Nous l’avons dit : toute la pensée de Perón gravite autour de l’art militaire. C’est donc de ce côté qu’après une longue recherche nous avons trouvé la réponse. Juan Perón a lu toutes les histoires des grands capitaines. Il avait une admiration spéciale pour Napoléon qu’il citait volontiers dans ses conseils aux membres de son parti.
En rapprochant ces mots et leur utilisation dans la sphère de la « stratégie », il apparaît que Napoléon a écrit le 7 janvier 1814 à Stein, ministre prussien : « La stratégie est l’art de se servir du temps et de l’espace. Je suis moins économe du second que du premier. L’espace nous pouvons le reconquérir, le temps perdu, jamais. La perte du temps est irréparable à la guerre. »
La détermination de Perón à reprendre le pouvoir est restée intacte depuis son éviction en 1955. En 1969 il lui faut reconstituer le grand mouvement populaire qui l’a porté au pouvoir en 1946. Les militants sont dispersés sur l’éventail politique argentin de la droite la plus militariste à la gauche la plus révolutionnaire. Le bulletin intitulé Las Bases a rassemblé les pensées et directives du général Perón pour l’année 1968-1969. Face au chaos dans lequel est tombé le secteur syndical et à la désorganisation de la branche politique, le « Comando Superior… » (Perón et les chefs du mouvement), donne la préférence à la branche politique avec la possibilité de maintenir en même temps des contacts avec les groupes syndicaux qui ont maintenu l’unité et la fidélité au péronisme.
Les 36 directives établies sont toujours ordonnées selon cette conception militaire : stratégie et tactique. Au n° 30 on lit : « L’organe d’exécution de la conduite stratégique pour le pays est celui dévolu au Délégué du Commando Supérieur Péroniste. »
En 1974 il reprendra dans un ouvrage de 238 pages toutes les thèses du parti sous le titre Conducción Politica. Il reprendra en la citant la référence de son discours à l’Escuela Superior Peronista du 1er mars 1951.
La référence espace temps figure page 26 ; elle est reprise aux pages 59 et 130. Aux pages 75 et 157 est développé le principe : l’unité est supérieure au conflit sous le titre Solución de los conflictos : la unidad.
Voici donc établie avec une certitude absolue l’origine de la supériorité du temps sur l’espace dans la doxa péroniste et conséquemment dans les déclarations du père Bergoglio. On remarquera ces dates et on pourra ajouter celle de juillet 1969 lorsque Perón s’adresse à la branche féminine du parti à propos de l’action d’Eva Perón : « Chacun de nous a l’obligation et la responsabilité de la perpétuer dans le temps et de l’étendre dans l’espace comme la meilleure école dont nous pouvons nous inspirer. »
Des témoignages plus récents encore manifestent qu’on trouve exclusivement ces principes chez les survivants du péronisme.
-
Le 27 février 2016 Gustavo Menéndez déclare à Radio REAL POLITIK FM 89.5 lors du Congrès du Parti : « A tout moment de notre réunion nous avons compris la nécessité de l’unité et avons pris en compte que l’unité est toujours supérieure au conflit et que le tout est supérieur aux parties. »
-
Lorsque le pape reçoit des syndicalistes péronistes le 14 septembre 2016, l’un d’eux affirme : « Le péronisme est notre colonne vertébrale et seule l’unité est supérieure au conflit. » Une représentante syndicale du groupe remerciera le pape pour « avoir ouvert la porte aux divorcés » – sans doute en pensant à Péron qui avait légalisé le divorce. La délégation offrira au pape un exemplaire de la Doctrine péroniste édité par la jeunesse du syndicat CGT argentin.
-
Le 13 octobre 2016 le groupe de soutien à Laudato si’ rapporte la déclaration de l’un de ses membres, Fernando « Pino » Solanas : « Nous sommes venus dire que l’unité est supérieure au conflit. C’est le général Perón qui a établi la concertation. »
Qu’en est-il, alors, des quatre principes ou causes, ou clous, ou critères ou postulats ou pierres angulaires ou axiomes ou priorités de François ? Comment se peut-il que le pape ait pu citer trois des quatre « principes » en 1974 si de son propre aveu, il ne les a élaborés qu’à partir de l’œuvre de Romano Guardini en 1986 ?
18 février 1974
Le père Bergoglio, provincial des Jésuites depuis le 31 juillet 1973, instruit ses frères dans la nouvelle religion : celle de la Compagnie, celle de la théologie du peuple et celle qui correspond à sa vision personnelle. Le texte de la recension de ses propos du 18 février 1974 est publié deux fois ; dans Meditaciones para religiosos, pages 47 et 48, et dans Le Bulletin de Spiritualité, Charisme et Institution d’avril 1978 n° 55, Compagnie de Jésus-Argentine. L’article de tête de ce numéro a pour auteur le père Arrupe lui-même.
Il est suivi de la totalité de la conférence donnée par Bergoglio en 1974. Et on y relève ces mots :
« Les grands critères pour conduire les processus : l’unité est supérieure au conflit ; le tout est supérieur à la partie, le temps est supérieur à l’espace, sont ceux qui doivent inspirer notre travail. C’est seulement de cette façon que nous pourrons avoir une unité d’action. »
Le père Bergoglio reprend encore les notions espace-temps dans la suite d’un exposé en 1978 dans les mêmes circonstances, (cf. pages 54 et 57 dans Meditaciones.)
Aucun doute n’est possible : la source unique ces quatre principes se trouve dans les consignes du général Perón à ses partisans. Trois sont repris tels quels ; le quatrième, « la réalité est supérieure à l’idée » existe, mais sous une autre forme ; nous verrons pourquoi, à cette date, il ne la cite pas.
Face à l’évidence de l’origine péroniste, pourquoi une désinformation universelle s’est-elle mise en place et pourquoi perdure-t-elle encore aujourd’hui ?
Les inventions qui masquent l’imposture
1. Le premier livre à répandre une « fable » au sujet des quatre principes est The Great Reformer, écrit par l’historien officiel du pape, Austen Ivereigh. Il a bien connaissance de la page 47 des Meditaciones mais il la sépare délibérément de la page 48. Il donne l’impression de bien connaître le péronisme, et curieusement il traite du contenu de la page 47 en page 111 de son propre livre, mais ne cite cette page 48 qu’à la page 200 de son propre livre. Comme si les deux pages des Meditaciones n’avaient aucun rapport entre elles !
Il relie les principes du pape aux principes de Congar et à sa Vraie et fausse réforme dans l’Eglise. Il s’agit également, pour Austen Ivereigh, de principes chrétiens de gouvernement (« A series of governing “Christian principles »). « Il s’agit de principes tirés de plusieurs de ses héros – les premiers compagnons de saint Ignace, les missionnaires du Paraguay, et même le caudillo Rosas du XIXe siècle – et d’une source majeure : ce qu’il appelle “la sagesse particulière du peuple que nous appelons fidèle, le peuple qui est le peuple de Dieu” » (The Great Reformer, pages 200-201). (texte original anglais : note 1).
Note 1. In 1974, when he addressed the provincial congregation, they were three: unity comes before conflict, the whole comes before the part, time comes before space. By 1980, he added a fourth, anti-ideological principle: reality comes before the idea. They were principles deduced from various of his heroes – the early companions of Saint Ignatius, the Paraguay missionaries, even the nineteenth century caudillo Rosas – and one major source; what he called « the special wisdom of the people whom we call faithful, the people which is the people of God ».
Le lecteur n’a évidemment aucun moyen de connaître toutes ces sources d’inspiration réparties sur quatre siècles !
2. Heureusement, le père Juan Carlos Scannone, JSC – soixante-dix ans au service de la théologie de la libération – a eu une idée géniale qu’Austen Ivereigh n’a pas osé exploiter. JSC la répétera à de nombreuses reprises, en espagnol, en portugais et en français :
« Ce sont des critères de discernement. Je dirais que ces quatre principes ont été exhumés de l’histoire d’Argentine. Le pape les a adoptés quand le père Tito Lopez Rosas les a identifiés dans une lettre de Juan Manuel Rosas à Facundo Quiroga. Il les a communiqués à Bergoglio qui en a été enthousiaste et qui les a développés [souligné par nous]. Alcira Bonilla m’a dit que cette lettre a été conservée, je ne sais dans quelles archives, tachées de sang : le sang de Facundo Quiroga (qui) a reçu cette lettre quelque jours avant d’être assassiné. Il l’avait sur lui dans la bataille de Barranca Yaco » (note 2).
Note - 2 Son criterios de discernimiento. Diría que estos cuatro principios fueron desenterrados de la historia argentina. El Papa los adopta cuando el padre Tito Lopez Rosas los identifica en una carta de Juan Manuel de Rosas a Facundo Quiroga. Se lo comunica a Bergoglio, y él se entusiasma, ampliándolos. Me dijo Alcira Bonilla que esa carta se conserva, no sé en qué archivo, manchada con sangre: la sangre de Facundo. Quiroga recibió la carta días antes de su asesinato. La llevaba consigo en el asalto de Barranca Yaco. (Factor Francisco : Juan Carlos Scannone, un cérebro universal, 01/12/2019)
En une autre occurrence, en 2014, JSC déclare que « selon ce qu’on dit », la lettre de Rosas concernait l’organisation nationale argentine. « Les principes ne sont pas explicites mais ils sont contenus implicitement. » Il donne le lieu et la date de la lettre : Hacienda de Figueroa en San Antonio de Arceo, 20 décembre 1834.
En 2015, dans une interview donnée à Ihu.unisinos au Brésil, JCS dira la même chose : « Segundo se diz » (selon ce qu’on dit). Répondant à une question, il évoque ailleurs Romano Guardini et une inspiration vague.
Pour défendre l’indéfendable, l’ancien professeur du novice Bergoglio est capable d’inventer n’importe quoi !
Il va répéter l’histoire de la lettre de Rosas à Quiroga, en 2017, dans son livre sur Les racines théologiques du pape François, page 142 note 41 et page 242 note 7. Mieux, il renvoie au témoignage oral qu’il a eu de son informateur, le père jésuite Lopez Rosas.
Celui-ci est l’auteur d’un article dans la revue du CIAS (Centre d’information et d’action sociale des jésuites) en août 1974, sur les Valeurs chrétiennes du péronisme où il écrit notamment : « Nous vivons notre “être national” et notre “être chrétien” en une étroite synthèse, parce que le christianisme ne tend en aucune façon à nous faire sortir hors de l’espace et du temps, mais nous fait voir au contraire le Christ dans l’immanence de notre propre histoire personnelle et celle du peuple argentin… Notre intégration au peuple de Dieu est intimement liée à notre intégration au peuple argentin » (page 16).
Pour vérifier la véracité de cette origine il n’y avait qu’une seule chose à faire : consulter les archives nationales argentines ! On trouve cela dans Correspondencia entre Rosas, Quiroga y Lopez (Libreria Hachette, Argentine, 1975, pages 94 à 105).
Nous avons relu cette lettre trois fois : impossible d’affirmer qu’une quelconque formule ou situation ait pu susciter un « principe » quel qu’il soit. Lorsque « le temps » est invoqué par Rosas, il s’agit d’un temps indéterminé.
Deux Français se sont distingués dans « l’information » sur ces principes :
Nicola Senèze du journal La Croix pour qui les principes « sont puisés dans l’histoire argentine, notamment Juan Manuel Rosas » (in Les mots du pape, page 12).
Nicolas Tenaillon, spécialiste de théologie politique, s’abrite derrière le père de Charentenay S.J. : « Il a tiré de ses lectures de Guardini les quelques principes qu’il énonce dans Evangelii Gaudium ; ce ne sont d’ailleurs pas des principes sociaux, mais des principes ontologiques » (entretien avec l’auteur, Dans la tête du pape, page 49, note 2 ).
Le quatrième principe
Un dernier point reste à éclaircir. Pourquoi en 1974 le père Bergoglio ignore-t-il le quatrième principe : « La réalité est supérieure à l’idée » ? Perón aurait-il omis cette formule géniale ?
La réalité est que Perón n’a pas dit cela car il n’est pas philosophe. Il est un meneur d’hommes, il analyse l’histoire, la politique et l’économie. Il donne une leçon de conduite aux membres de son parti qui ne s’interrogeront jamais sur le rapport entre la réalité et l’idée.
Le Boletín Informativo Perónista N° 7 de mars 1972 dans la rubrique « Archives préparatoires et doc. préliminaires », renvoie à une lettre du général Perón dans le numéro 7 de la revue Las Bases du 16 février 1972 : La única verdad es la realidad (l’unique vérité, c’est la réalité).
Cette lettre paraît avec la signature autographe du général.
Il développe une analyse critique de la situation économique de l’Argentine – il n’est pas encore revenu d’Espagne. Il est sans complaisance et s’élève contre ceux qui ont des solutions miracles qui seront à coup sûr inefficaces. A la fin de sa lettre il écrit : « Je ne me sens pas infaillible et encore moins “prophète de la vérité”, mais ma grande expérience me fait pressentir une vérité urgente que nous paierons très cher si nous ne réussissons pas à saisir l’occasion de la mettre en œuvre. »
Le sous-titre de la lettre est effectivement : « La única verdad es la realidad. » L’unique réalité est la situation économique catastrophique et elle est la seule vérité face aux dénégations des incapables !
A ce stade, le témoignage du pape lui-même reste définitivement troublant :
« Même si je ne suis pas parvenu à terminer ma thèse, les études que j’ai effectuées à ce moment-là m’ont été d’une grande utilité pour tout ce qui est venu par la suite, y compris pour l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium étant donné que toute la partie concernant les critères sociaux que l’on trouve dans celle-ci est tirée de la thèse relative à Guardini » (cité par Sandro Magister, Les quatre clous auxquels Bergoglio accroche sa pensée, 19-05-2016).
Massimo
Borghesi (MB) le père Bergoglio
et Romano Guardini (RG).
Massimo Borghesi est l’auteur italien d’une « biographie intellectuelle » du pape.
La troisième partie de son livre traite essentiellement de la théorie de l’opposition bipolaire dans l’œuvre de Romano Guardini et son utilisation supposée par le père Bergoglio.
Pour bien montrer qu’il maîtrise la chronologie de la rencontre entre le pape et le théologien allemand, il transcrit un enregistrement du pape lui-même, du 3 janvier 2017 (opus cit. page 117) :
« Au début de 86, je me suis intéressé à Guardini d’abord comme lecture spirituelle, dans ses livres Le Seigneur, La mère du Seigneur, etc. Ma lecture a pris un autre tour quand j’ai eu en main Der Gegensatz, (La Polarité), l’œuvre d’anthropologie philosophique publiée par Guardini en 1925. »
Par deux fois, Massimo Borghesi va certifier qu’il s’agit bien à cette date d’une découverte. Selon Austen Ivereigh et Massimo Borghesi, ce livre est une révélation qui permet d’éviter la dialectique hégélienne. Romano Guardini conserve les oppositions et les dépasse dans la confrontation qui débouche sur une « tension féconde » pour construire une « unité concrète ». Massimo Borghesi donne comme référence de cette filiation deux discours du cardinal Bergoglio de 2005 et de 2010.
La recherche de cette filiation entre Romano Guardini et les quatre principes ne tient pas. Pas davantage leur élaboration par le père Bergoglio, le cardinal ou le pape.
Le professeur Carlos Alberto Sampedro dans un article publié sur le site guardiniromano.blogspot, le 6 octobre 2014, écrit : « C’est pourquoi (à moins que François nous donne des pistes explicites sur le rôle de Guardini dans sa formation ou son magistère), pour le moment il n’est pas possible de trouver dans la pensée de François une influence de Guardini, directe et structurante. »
Le professeur cite quatre exemples de citations de Guardini par le pape. Il ajoute un commentaire d’un fidèle du pape, Marcelo Larraquy, selon lequel il y aurait une source visible de Guardini dans « les enseignements de Bergoglio sur la liberté et l’obéissance dans l’exercice de l’autorité ».
Le professeur conclut :« Cependant, cela ne permet pas d’établir qu’il existe une influence décisive comme on pourrait le penser à partir de l’intérêt pour la réalisation d’une thèse de doctorat sur la théologie de Romano Guardini. »
Massimo Borghesi a présenté la traduction portugaise de son livre en 2018, dans une conférence (La pensée de Jorge Mario Bergoglio. Les défis de l’Eglise dans le monde moderne), à l’Institut jésuite brésilien UNISINOS, un des plus grands foyers de la subversion moderniste du continent latino- américain.
Le bilan est inquiétant…
Après une référence impossible à trouver dans le Denzinger (1974), après une impossible référence dans la correspondance de Rosas, nous sommes en présence d’un renvoi à une thèse que personne n’a jamais ni vue, ni lue !
La comparaison des dates de « fabrication » des principes, 1974 ou 1986, révèle une incohérence qui ne peut échapper à une analyse objective.
Deux
analyses des principes
par des penseurs catholiques
Deux autres études éclairent définitivement le contenu philosophique des principes du pape. Elles appartiennent à la revue Courrier de Rome.
1. « Axes de lecture philosophique de textes du pontificat actuel », du professeur Giovanni Turco, novembre 2016, n° 593.
Cette analyse devrait être lue par tout clerc et tout laïc, tant elle renferme d’enseignements sur toute la crise intellectuelle et morale de notre temps. Elle contient tous les éléments d’une réponse à toutes les dérives que nous décrivons dans ce livre.
« Dans tout domaine de la pensée, l’attitude à l’égard de la vérité est décisive. Elle l’est non seulement d’un point de vue intellectuel, mais aussi d’un point de vue moral. Sous l’angle intellectuel la considération de la vérité est révélatrice du rapport de la pensée à l’être et de la relation interne à la pensée elle-même entre acte et contenu. La priorité de la pensée sur l’être comme celle de l’acte sur le contenu, réduit la vérité au résultat d’une activité toujours en devenir, c’est-à-dire quelle la vide de toute consistance propre. A l’opposé le caractère fondamental de l’être, et similairement du contenu par rapport à l’acte, fait émerger la priorité de la vérité, comme substance et comme critère.
« Dans une considération d’ensemble, ces affirmations, et non principes, se profile une réalité comme des présupposés, c’est-à-dire des affirmations posées, mais non discutées en elles-mêmes. Elles apparaissent en substance comme des points de vue. Des points de vue pour eux-mêmes, non vérifiés, ni sous l’angle philosophique ni sous l’angle théologique.
« De l’ensemble des textes que nous avons mentionnés émerge la notion selon laquelle la vérité consiste en une relation, vient d’une relation, n’existe jamais sans relation. En tant que telle elle n’est pas le critère de la relation, mais le produit de la relation. Elle ne distingue pas entre relations, mais elle prend sa source dans la relation et y revient. En ce sens la vérité, précisément en tant qu’elle a son origine dans la relation ne peut être que relative. (…)
« Ces points de vue ne sont évidents ni intrinsèquement ni extrinsèquement, et ils sont affirmés uniquement en vue des conséquences que l’on peut en tirer. Il ne s’agit pas de principes de nature métaphysique, gnoséologique ou éthique. Ils ne renvoient pas à l’être en tant que tel, ils ne sont pas significatifs sous l’angle de la nature même de la pensée, ils ne touchent pas les fondements de l’agir. Ils ne renvoient pas, eux-mêmes, à la vérité ni au bien. On n’aborde pas la question de leur vérité, mais on développe leur explicitation en fonction de la praxis. Ils se profilent en définitive comme des postulats de la praxis en vue d’objectifs de la praxis elle-même. En d’autres termes, ils ne constituent pas à proprement parler des principes, c’est-à-dire des critères objectifs pour l’intelligence du réel, mais des points de vue fonctionnels, dans la mesure où, justement, ils permettent de travailler (E.G., 223). Au fond une telle attitude ne correspond pas à l’attitude théorétique, mais à un comportement idéologique. » (Souligné par nous.)
2. Le temps supérieur à l’espace. Analyse de l’héraclitéisme latent du pape François, par l’Abbé Renaud de Sainte Marie (Courrier de Rome, juin 2017, n°600, déjà cité) :
« Analyser les dires de François et comprendre l’extrême gravité de ce qu’il se passe sous nos yeux ne peut se faire sans découvrir quelque peu le contenu de la philosophie qui anime le pontificat actuel. En effet beaucoup refusent encore de voir la vérité, aussi il nous a paru nécessaire de montrer vers quel gouffre nous sommes entraînés avec des paroles lénifiantes et des aphorismes en apparence féconds. »
[L’héraclitéisme est le système philosophique d’Héraclite, philosophe grec mort au Vème siècle avant Jésus-Christ.]
« Pour Héraclite, la fixité et la stabilité des éléments du monde étaient un leurre, une apparence. La seule réalité était le devenir et rien de ce qui était ne pouvait demeurer.
« Sans nous arrêter au fond de la présente similarité des phrases d’Héraclite et du pape, notre réflexion va porter sur le principe de l’espace et du temps. Ce principe énoncé et commenté par le pape est de notre point de vue le plus important car il se rapporte au problème de l’être et du devenir. C’est donc toute la question métaphysique qui est en jeu et en dernier ressort la capacité de l’intelligence humaine à connaître Dieu. »
« … associer Dieu au mouvement, à l’évolution ut sic, conduit presque nécessairement au panthéisme puisque toute forme de spécificité cultuelle, de contenu dogmatique exclusif de son contraire est une sorte de trahison du dynamisme divin, de sa polymorphie d’origine. Loin de nous révéler Dieu une telle position intellectuelle nous le rend incompréhensible et l’associe à tous les délires possibles de l’humanité en matière d’affirmation théologique. Laisser le temps faire son œuvre permet la conquête de nouveaux espaces pourrait-on dire dans la continuité d’une telle phraséologie – on a peine à nommer une telle pensée – ; malheur à celui qui cherche à sauvegarder l’héritage du passé, malheur à celui qui délimite Dieu sous quelque forme que ce soit, ou sous quelque définition dogmatique ? Que reste-t-il du dépôt révélé quand on adopte de tels principes ? Que peut-on dire de Dieu si on adopte une telle position en toute rigueur de terme ? Rien…
« D’ailleurs Héraclite assumait parfaitement la dialectique comme essence du monde, le chaos étant père de toute chose. Le pape n’assume pas cet héritage mais quelque part il en assume les conséquences. On ne nie pas que l’intention du pape soit pacifique. Mais il ne peut échapper à la logique de destruction et de chaos de la pensée qu’il a consciemment ou non, embrassée. Il n’y a pas de paix dans l’héraclitéisme, il n’y a pas de place pour un Dieu qui serait amour. »
Derrière cette grande opération de camouflage des origines des principes « pontificaux » il faut retenir la formule d’Emilce Cuda : « La théologie du peuple est la modalité nationale et populaire de la théologie de la libération. »
Note : « Teología y politíca en el discurso del papa Francisco », Nueva sociedad n° 248 nov-dec 2013. Revue en relation avec la Fondation socialiste allemande Friedrich Ebert.
Malgré tous leurs efforts et leurs formules, les théologiens de la TDP n’ont pas réussi à se dégager du « sens de l’histoire hégélien ». Ils ont essayé de masquer leur « héraclitéisme » derrière la nation ou la culture. Le penseur du système, le père Scannone, a donné un nom à ce courant : celui de Théologie de la libération à partir de la praxis culturelle. Lorsque les membres de la COEPAL (Commission épiscopale pour la pastorale en Argentine) rencontrent l’aile avancée de la TDL, ils sont directement contaminés par les catégories théologiques les plus politisées qui sont celles des curés des bidonvilles, et du Mouvement des Prêtres pour le Tiers Monde. Si la théologie du peuple fait une différence entre le prolétariat de classe et le peuple, cela n’empêche pas que, dans la pratique, le peuple soit le même. La théologie de la praxis pastorale ne fait pas de différence d’identité entre les deux discours : révolutionnaire et praxis culturelle.
L’origine des principes nous obligent aux remarques suivantes.
1. Lorsque le père Bergoglio s’adresse à ses confrères en février 1974, il a 38 ans. Il est provincial depuis six mois. Il a été incontestablement séduit par le langage conquérant du général Péron qui a éduqué, depuis Madrid, ses troupes pour reprendre le pouvoir en 1973 ; mais Perón meurt le 1er juillet 1974. Et malgré ces principes les successeurs ne parviendront pas à établir la paix civile en Argentine.
2. Le père Bergoglio doit faire face à une Compagnie de Jésus divisée pour des raisons religieuses et politiques. Il trouve dans les leçons de Perón les codes qui lui semblent les plus efficaces pour rassembler ses jésuites et plus tard la nation argentine.
3. Son gouvernement de la province argentine s’avère très conflictuel au point qu’il est envoyé deux ans à Córdoba en 1990-1991. Il a pris le goût du pouvoir au moment où la distinction temporel-spirituel s’efface dans la confusion véhiculée par la théologie du peuple.
4. Il va pratiquer ces principes dans la tourmente politico-religieuse que connaît l’Argentine, notamment comme évêque-auxiliaire, puis cardinal-archevêque de Buenos-Aires. Il n’a ni la culture théologique, ni la culture philosophique, ni la culture politique pour juger de ces principes. Il a été formaté directement par le péronisme et la théologie de la libération et du peuple.
5. Arrivé au pontificat, il ne connaît rien d’autre que ce qu’il a déjà pratiqué. Son exhortation apostolique Evangelii Gaudium est une copie à peine démarquée de ce qu’il adressait à ses diocésains et à toute l’Argentine. Cela est manifeste car cette exhortation est construite comme un manifeste politique qui désigne les ennemis infiltrés dans le camp du peuple de Dieu : paragraphes 93 à 104 de E.G., de la mondanité spirituelle aux revendications des droits légitimes des femmes. C’est également un programme politique et économique, accompagné d’une « fraternité mystique », contemplative, qui sait regarder la grandeur sacrée du prochain … » (§ 92)
6. Ce que Perón n’a pas réussi en Argentine, le pape veut le réussir avec l’Eglise dont il est devenu le chef. Il reste convaincu de l’efficacité de principes qui n’ont sauvé à ce jour aucune société ! La grossière erreur philosophique de ces principes est en opposition complète avec la métaphysique aristotélico-thomiste. Ce sont les principes d’une action politique spécifique issue du péronisme et ne sont en rien des principes qui découleraient de la Doctrine sociale de l’Eglise.
Ces principes sont un moyen pour le pape François de garder et d’étendre son pouvoir pour transformer l’Eglise en temple de la théologie du peuple.
Le bilan des quatre principes
Nous considérons comme un scandale intellectuel la falsification opérée par le père jésuite Ernesto Lopez Rosas, qui voulait à toute force rallier les fidèles à Perón et les éloigner de la théologie de la libération, et qui s’est livré à une exégèse farfelue d’une lettre de Juan Manuel Rosas de 1834.
Mais que le père Bergoglio, le cardinal Bergoglio, le pape Bergoglio l’ait reprise à son compte pour ses confrères, ses diocésains et les fidèles de l’Eglise universelle, c’est une supercherie majeure qui sera accréditée par le père Scannone et tous les journalistes, écrivains et biographes de tous les pays.
Nous voulons parler des quatre principes énoncés dans Evangelii Gaudium du 24 novembre 2013, nos 222 à 235 : le temps est supérieur à l’espace, l’unité prévaut sur le conflit, la réalité est supérieure à l’idée, le tout est supérieur à la partie.
Aux dires du père Scannone, ce sont quatre priorités « bergogliennes » dans la construction et la conduite du peuple.
Dans l’article où il raconte cela, il écrit : « Selon ce que l’on dit, elles sont tirées de la lettre de Juan Manuel Rosas, gouverneur de Buenos Aires, à Facundo Quiroga, Gouverneur de la Rioja en Argentine, sur l’organisation nationale argentine, écrite depuis la hacienda de Figueroa à San Antonio de Arceo (20 décembre 1834), où Rosas ne les explicite pas mais où il les manifeste de façon implicite. Plus tard – comme pape – François introduira les deux dernières priorités dans l’encyclique à quatre mains Lumen Fidei (nos 55 et 57). Finalement il les développe et les détaille dans EG 217-237, en les présentant comme un apport de la pensée sociale chrétienne “pour la construction d’un peuple (en premier lieu pour les peuples du monde, mais aussi pour le peuple de Dieu)” » (Razón y Fé, 2014, t.271, n°1395).
En 2017 dans La théologie du peuple, racines théologiques du pape François, Scannone écrit :
« … On les trouve mis en pratique de manières implicites dans les conseils donnés par J. M. de Rosas et le jésuite argentin Ernesto Lopez Rosas en a fourni l’explication » : « Je renvoie au témoignage oral que j ’ai reçu du père Lopez Rosas » (Cf. supra***.)
Le 1er décembre 2019, sous le titre Juan Carlos Scannone : un esprit universel plein de la foi de notre peuple, le journaliste de Factor Francisco l’interroge sur les quatre principes. Ce journaliste n’a pas caché sa surprise devant la mise en scène du père Scannone autour de Manuel de Rosas. Il lui pose une nouvelle question qui entraîne une réponse absolument ahurissante du père Scannone :
(Le journaliste :) – Est-il très risqué de dire cependant que Rosas d’une manière mystérieuse est maintenant présent dans le magistère de l’Eglise universelle ?
JCS – « S’il en est ainsi, il faut tenir aujourd’hui que ses principes furent d’abord pratiqués en politique. Ce furent des conseils pour l’organisation nationale. Mais aujourd’hui ce sont des principes de valeur universelle. Et cela montre que la réalité se voit mieux depuis la périphérie que depuis le centre. »
Revenons au père Bergoglio « enthousiasmé » par les « principes » cités plus haut.
Lorsque Perón revient en 1973 il n’a cessé pendant son exil de diffuser par ses réseaux de fidèles en Argentine des consignes et des informations pour reprendre en main un parti déchiré. Il appelle à l’unité.
Le nouveau provincial applique les trois recettes péronistes dans son discours d’ouverture de la 14e congrégation provinciale du 18 février 1974… « pour nos projets libérateurs ».
Devenu archevêque l’année précédente, à la fin de son homélie pour son premier Te Deum de la fête nationale à la cathédrale de Buenos Aires, le 25 mai 1999, Mgr Bergoglio déclare : « Convainquons-nous, une fois de plus, que “le tout est supérieur à la partie, le temps est supérieur à l’espace, la réalité est supérieure à l’idée et l’unité est supérieure au conflit”. »
Il reprendra les principes en 2005 lors de la VIIIe Journée pastorale dans son discours La Nation à construire. Utopie, réflexion et engagement. Et de nouveau le 16 octobre 2010, dans « Vers un bicentenaire de justice et solidarité : Nous comme citoyens, nous comme peuple ».
Dans cette proclamation il explique que le temps est supérieur à l’espace par un commentaire de l’Evangile, la rencontre de la mère des fils de Zébédée avec le Christ. Elle demande pour ses fils que l’un siège à sa droite et l’autre à sa gauche. Le cardinal précise pour son auditoire que la mère demande « que dans le partage il leur donne un gros morceau du gâteau », en espagnol « un pedazo grande de la pizza ». Il continue son commentaire : elle demande un espace et Jésus répond, « ce n’est pas le moment ». Cette réponse n’existe pas dans les Evangiles…
Le cardinal poursuit en citant à nouveau l’Evangile :
« Pouvez-vous aller où je vais, allez-vous pouvoir souffrir ce que je vais souffrir ? » Puis il commente la citation : « Ça veut dire que c’est le temps qui décide » (« es decir, le marca el tiempo »).
Remarquons d’abord que ni saint Matthieu ni saint Marc ne parle d’aller et de souffrir, mais que chez les deux évangélistes, nous avons le même texte : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je dois boire ? »
J’ai vérifié dans la Catena Aurea qu’aucun des commentaires recueillis par saint Thomas d’Aquin sur cet épisode ne comporte de propos sur l’espace ou le temps.
Les textes de deux bibles espagnoles, dont une bible pastorale en usage dans les communautés de base, ne comportent pas davantage de pareilles incidences.
Pour faire passer ce soi-disant principe, le cardinal « bricole » l’Evangile au mépris du texte.
Nos lectures nous permettent de dire qu’il a parfois de curieuses façons de lire les textes !
Faire accréditer les formules d’organisation du général Péron par la mère des enfants de Zébédée… et les Evangélistes, c’est d’un niveau inégalable.
Mais depuis 1974 François a beaucoup lu. En 2010, il se souvient des universaux, des idéalistes et des nominalistes et il se contente de citer Platon dans Gorgias et ramène le problème à l’esthétique et à la rhétorique pour justifier que l’unité est supérieure au conflit !
De la mère de Zébédée à Gorgias, rien n’arrête le cardinal !
Ainsi, celui qui avait trouvé admirables les principes implicites de Manuel de Rosas – au point de leur donner une extension inconnue – est incapable après tant d’années de dire un mot ni de faire une allusion à la fameuse lettre d’un président argentin, dans les circonstances exceptionnelles du bicentenaire ! Ce qui aurait valorisé un président connu pour ses lois et ses massacres ! Et pour cause…
Il s’agit en réalité de masquer à tout prix l’emprunt fait à Juan Domingo PERÓN.
Seuls des Italiens comme le professeur Turco, ou le père Giovanni Scalese, le père Julio Meiattiniou signalés par Sandro Magister – qui parle des quatre clous auxquels Bergoglio accroche sa pensée – et le Courrier de Rome de juin 2017 avec l’abbé Renaud de Sainte Marie, ont montré l’insupportable stupidité intellectuelle de ces prétendus principes en réalité issus d’un héraclitéisme de seconde zone.
Un dernier exemple au paragraphe 57 de Lumen fidei. On lit : « C’est le temps qui gouverne les moments, qui les éclaire et les transforme en maillon d’une chaîne, d’un processus. L’espace fossilise le cours des choses ; le temps projette vers l’avenir et incite à marcher avec espérance. »
Les Grecs savaient, eux, que Chronos dévore ses enfants. Il a dévoré Napoléon, Perón et dévorera le Grand Réformateur qui veut changer l’Eglise du Christ par la vertu organisatrice du général Perón.
Un certain Julio Maspero n’hésite pas à écrire : Le temps supérieur à l’espace : un principe théologique fondamental pour l’action chrétienne.
Voilà où nous en sommes réduits aujourd’hui !
Juan Domingo Perón, théologien de la théologie du peuple par jésuites interposés ! Arnaque et supercherie, voilà l’Eglise des pauvres, l’Eglise de la miséricorde, de la rencontre et du dialogue !
Note :
Saint Thomas d’Aquin, S.Th., 2a 2ae, q.33, art.4 ad 2 m.
« Peut-il arriver qu’un sujet soit tenu en conscience de faire des reproches à celui qui est son supérieur ? »
Réponse : « Oui, mais avec respect intime, déférence extérieure et discrétion. Cependant, dans le cas d’un péril imminent pour la foi, il y aurait lieu et devoir pour le sujet de s’en prendre aux prélats, et cela même d’une manière publique. »
Droit canonique 1983, livre II : titre I, can. 212 §3
§ 3. Selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, ils [les laïcs] ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 205 autres membres