Le Terrorisme pastoral

Le Terrorisme pastoral

Une fois n'est pas coutume ; Homélie catholique de l'Archevêque de Paris

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Première messe à Notre-Dame depuis l'incendie : l'homélie de Mgr Michel Aupetit

 
	 (Capture d'écran KTO.)

(Capture d'écran KTO.)

Samedi 15 juin, l'archevêque de Paris, Michel Aupetit, célébrait en petit comité une messe dans sa cathédrale, Notre-Dame, en la fête de sa dédicace. C'était aussi la première messe célébrée dans la cathédrale depuis l'incendie qui l'a ravagée deux mois plus tôt, en pleine Semaine sainte. Voici le texte de son homélie.

Aujourd’hui nous fêtons la dédicace de la cathédrale dans cette cathédrale. Quelle joie pour nous. Le mot dédicace vient de « dedicacio », ce qui signifie consécration. Cela veut dire que la dédicace est la consécration d’une église au culte divin. Ce que nous célébrons par la dédicace chaque année, c’est la raison profonde pour laquelle la cathédrale Notre-Dame a été édifiée : manifester l’élan de l’homme vers Dieu.

La cathédrale est née de la foi de nos aïeux. Elle manifeste leur confiance en la bonté du Christ, son amour plus fort que la haine, sa vie plus forte que la mort, et aussi cette tendresse toute particulière des chrétiens envers la Vierge Marie, cette maman que le Seigneur nous a donnée comme son dernier testament, cette maman qu’il nous a donnée pour que nous prenions soin d’elle de la même manière qu’elle prend soin de nous. Voila pourquoi cette cathédrale lui a été dédiée. Notre-Dame de Paris... C’était son bien le plus précieux qu’il nous a donné avant de mourir sur la croix.

Cette cathédrale est née aussi de l’espérance chrétienne. Cette espérance perçoit bien au-delà d’une petite vie personnelle centrée sur soi, pour entrer dans une perspective magnifique en se projetant bien au-delà d’une seule génération, comme nous le voyons aujourd’hui. Ceux qui travaillent sur le chantier me disent leur enthousiasme : on retrouve cet esprit de communion qu’il y avait dans une belle œuvre qui dépasse chacun de ceux qui la construisent. Quelle merveille ! Il ne s’agit pas de laisser un nom mais de construire pour le service de tous. Voilà ce qui manifeste l’espérance bien au-delà d’une génération ou d’un temps donné. C’est le futur qui se construit toujours.

Elle est née aussi de la charité, puisque cette cathédrale était toujours ouverte à tous, et qu'elle est toujours ouverte à tous – sauf en ce moment pour des raisons de sécurité, vous l’avez bien compris. Elle est le refuge des pauvres et des exclus, qui trouvaient là leur protection. Chacun se rappelle bien sûr des mots de Quasimodo : « Asile ! asile ! » Et c'est vrai que tout le monde pouvait se réfugier dans cette cathédrale. Et j’espère que ce sera toujours vrai. D’ailleurs, l’Hôtel-Dieu, qui fut construit juste à côté, a toujours été associé à la cathédrale. Il était ce signe de cet accueil inconditionnel des pauvres et des malades, et j’espère que l’on pourra retrouver cet esprit de ceux qui ont construit cette cathédrale, car c’est eux – les pauvres, les malades, les exclus – qui ont la première place dans l’Église, comme le Seigneur nous l’a appris.

Maintenant, la question qui se pose à nous, c’est : avons-nous honte de la foi de nos ancêtres ? Avons nous honte du Christ aujourd’hui ?

Oui, cette cathédrale est un lieu de culte. C’est sa finalité propre et unique. Il n’y a pas de touristes à Notre-Dame, comme je l’entends quelquefois. Ce terme est souvent pris de manière péjorative, car en fait tous ceux qui rentrent ici ne rentrent pas comme des touristes. En disant cela, on ne fait pas droit à ce mystère qui pousse les hommes à venir chercher un au-delà de soi, et nous les chapelains qui sont ici autour de moi pourront témoigner que beaucoup sont entrés comme cela peut-être, par curiosité, sans savoir pourquoi, mais ne sont pas ressortis de la même manière, parce qu’ici il y a une présence, une présence peut-être implicite, mais incontestable.

Voilà ce qu'il était important de rappeler par rapport à cette cathédrale, car peut-on vraiment, par ignorance ou par idéologie, séparer la culture et le culte ? L'étymologie elle-même nous montre le lien fort qui existe entre les deux, et je le dis avec force : une culture sans culte devient une inculture. C’est incontestable puisque, déjà, tout ce qui est culturel et artistique a toujours été fait en fonction et en raison d’une divinité supérieure ou d’une transcendance. Et si je parle d’inculture, il n’est qu’à voir l'ignorance religieuse abyssale de nos contemporaines, en raison de l’exclusion de la notion divine et du nom même de Dieu dans la sphère publique, au nom, soi-disant, d’une laïcité qui exclut toute dimension spirituelle visible.

Comme tout édifice, cette cathédrale comprend une pierre angulaire. Cette pierre angulaire porte l’ensemble du bâtiment. Et pour nous cette pierre angulaire, eh bien c’est le Christ ! Si nous retirions cette pierre, cette cathédrale s’effondrerait vraiment, elle serait une coquille vide, un écrin sans bijou, un squelette sans vie, un corps sans âme.

Cette cathédrale est en effet le fruit du génie humain : c’est le chef-d’œuvre de l’homme. Mais la personne humaine est le fruit du génie divin : c’est le chef-d’œuvre de Dieu.

Nous l’avons entendu quand le Christ dit que personne ne peut arracher quelqu'un de sa main. Cela veut bien dire que la personne humaine, toute personne humaine est connue de Dieu, et cela lui donne un caractère d’une dignité indépassable, incommensurable. C'est le chef-d'œuvre de Dieu, nous sommes le chef-d’œuvre de Dieu !

Dimanche dernier, j'étais avec 10.000 jeunes d'adolescents, et ils m'avaient offert quelque chose justement pour rappeler ce qui s'est passé à Notre-Dame : ils m'ont offert un lectionnaire, le même lectionnaire que j'avais offert aux pompiers – seulement, celui-là était neuf, il n'était pas un peu brûlé comme celui que j'ai offert pour rappeler ce qui s'est passé ce jour-là. Eh bien, je leur ai rappelé que ma vraie cathédrale, c'était eux, ces 10.000 pierres qui étaient là, et qui construisent l'Église d'aujourd'hui. Mais ce bâtiment rappelle justement que ces pierres précieuses ont besoin d'un lieu qui soit aussi précieux qu'elles. Et voilà pourquoi cette cathédrale fut édifiée.

Mais quand le génie humain rejoint le génie divin, quand les deux se rejoignent en la personne de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, alors s’accomplit véritablement l’alliance entre le transcendant et l’immanent, entre le ciel et la terre. C’est ici et maintenant, dans cette cathédrale, à chacune de nos eucharisties célébrées que se réalise cette alliance, quand la chair du Christ partagée par tous nous ouvre à la vie éternelle.

Puisse cette messe célébrée dans cette occasion particulière – mais suivie par des millions de gens semble-t-il –, puisse-t-elle redonner le goût aux baptisés de revenir chercher la la source même de leur existence, dès ici-bas et non pas seulement dans une vie future. La vie éternelle commence aujourd’hui, et elle commence a chacune de nos eucharisties. Elle est renouvelée, car c’est le Seigneur lui-même qui se donne en nourriture, non pas pour une vie terrestre, fournir de l’aliment au corps organique et biologique, non ! mais fournir l’aliment de l’âme, qui nous permet d’être en lien avec Dieu. Voilà le sens extraordinaire, et cela valait bien de construire une cathédrale ! Et cela vaut certainement de la rebâtir.

C’est peu dire, bien sûr, que nous sommes heureux de célébrer cette messe pour rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à l’homme sa vocation sublime. Amen.

 



16/06/2019
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