Le Terrorisme pastoral

Le Terrorisme pastoral

La Fabrique des Saints très bien documenté

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La Lettre de Paix liturgique

 

 

 

lettre 781 du 25 Janvier 2021

 

 

 

LA " FABRIQUE DES SAINTS "

 

 

 

2ème PARTIE : LES REGLES DE LA CANONISATION AUJOURD'HUI

 

On trouvera dans cette lettre la deuxième partie de l’entretien que nous a accordé le P. Jean-François Thomas, de la Compagnie de Jésus, au sujet des canonisations et plus globalement de la sainteté. Il aborde ici plus précisément le délicat problème de savoir si l’Église, dans la reconnaissance officielle des saints que l’on peut légitimement vénérer, engage son infaillibilité.

 

 

Paix Liturgique : Les saints doivent-ils nous servir de modèles en tout, ou faut-il « trier » dans leur vie ? A-t-on le droit d'avoir des saints préférés ? Et aussi d'invoquer des saints « spécialisés, par exemple saint Antoine quand on a perdu un objet, ou saint Blaise quand on a un mal de gorge ? Cela ne relève-t-il pas d'une religion peu éclairée ?

Père Jean-François Thomas : Le « tri » a déjà été opéré puisque l'Église s'est prononcée en autorisant le culte public d'un saint. Le fidèle n'est donc pas amené à mener son enquête personnelle. Ceci dit, il est normal de se sentir plus proche de certains saints que d'autres et, dans leur vie, de retenir plus certains aspects que d'autres. Ce n'est pas dire que chacun fait son marché, puis son menu, mais une grande liberté est laissée à chacun pour s'attacher aux modèles de vertu chrétienne avec lesquels il se sent plus familier. Cela ne signifie pas qu'il méprise ou rejette les autres mais simplement que personne ne peut vénérer tous les saints de manière identique car ils sont trop nombreux, -des milliers, et qu'ils s'inscrivent souvent dans une culture et un temps particuliers, même si l'Église essaie toujours, -surtout par le passé, de choisir des exemples universels, donc catholiques. De toute façon, nous honorons au moins une fois par an tous les élus, lors de la Toussaint. En présence de ce jardin, nous pouvons ensuite composer une brassée de fleurs pour reprendre l'expression de saint Augustin dans un de ses sermons sur le martyr saint Laurent : « Il y a dans le jardin du Seigneur non seulement les roses des martyrs, mais les lis des vierges, le lierre des époux, les violettes des veuves... Apprenons donc comment, sans répandre notre sang, sans affronter les souffrances du martyre, un chrétien doit imiter Jésus-Christ ». Il est certain que la plupart des fidèles se sentiront plus attirés par un saint thaumaturge que par un saint qui a consacré sa vie à défendre la doctrine. Entre ici en jeu le délicat problème de notre « intérêt » lorsque nous rendons un culte de dulie ou d'hyperdulie. Nos intentions ne sont pas toujours très pures, parfois même teintées de superstition, surtout si la prière et la conversion du cœur n'accompagnent pas la dévotion.

Il n'empêche que les saints, qui ont passé leur vie, longue ou brève, à faire du bien, ne cessent pas de s'intéresser à nous après leur mort, et tous passent leur ciel à être des canaux de la grâce divine pour l'Église militante. Il ne faut pas craindre de les déranger, de les harceler de nos demandes, présentées avec humilité mais avec persistance, d'où, par exemple, l'efficacité spirituelle des neuvaines par l'intercession d'un saint. Beaucoup possèdent des « spécialités » en effet : ce sont les saints thaumaturges, qui le furent souvent de leur vivant d'ailleurs, réalisant tel ou tel miracle qui deviendra fameux et qui construira leur réputation de « spécialistes ». Il est parfois difficile de faire la part de la réalité avec la légende dorée. Cela importe peu car Dieu reçoit toutes les prières qui sont sincères. Même s'il arrivait qu'un saint imploré n'eût pas existé, Dieu pourrait encore exaucer le fidèle au regard de la pureté de sa demande.

 

 

Paix Liturgique : Comment devient-on saint canonisé, par quelles étapes ? Quelles sont les règles de canonisation aujourd'hui ? La procédure a-t-elle évolué au cours de l'histoire ? On dit qu'il est beaucoup moins difficile d'être canonisé qu'autrefois.

Père Jean-François Thomas : Lorsque, au XIIème siècle, Alexandre III décida que toutes les reconnaissances de sainteté devraient être ratifiées par Rome, se développèrent alors les enquêtes pour les procès de canonisation. N'existait pas encore l'étape de la béatification, mais comme les recherches d'information, la constitution des dossiers et la réponse romaine s'étalaient dans le temps, beaucoup d'évêques continuèrent, jusqu'au XVIIème siècle, à opérer des translations de reliques de leur propre chef. Aussi les papes, pour sauver leur autorité et limiter les abus, accordèrent-ils , en attendant la canonisation officielle, un culte local, ce qui fut nommé béatification. Jusqu'à nos jours d'ailleurs, les béatifications n'autorisent qu'un culte restreint : un diocèse, une famille religieuse, mais pas un culte universel. La première béatification avec le sceau romain fut celle de saint François de Sales en 1662. L'étape décisive et « moderne » est la mise en place pas à pas des investigations pour un procès par la Sainte Inquisition et la décrétale Licet Heli de 1213. Il faut prouver la « réputation » de celui qui est considéré comme saint, comme il faut prouver désormais qu'un hérétique est réellement fautif, d'où la mise en place de procès au sens moderne du terme, avec, notamment, un avocat de la défense et un avocat de l'accusation, « avocat du diable ». Donc les enquêtes sont, à partir de cette époque, très complexes. Tout va être fixé, de façon très détaillée et juridique, par le cardinal Prosperto Lambertini qui règnera comme pape Benoît XIV de 1740 à 1758. D'abord archevêque de Bologne, ce juriste distingué tant en droit civil qu'en droit canonique, rédigea alors un traité Sur la béatification des Serviteurs de Dieu et la canonisation des bienheureux, publiés en quatre volumes de 1734 à 1738. Il avait servi dans le même temps la cause des saints comme avocat puis Promoteur de la Foi dans les dicastères romains, établissant ainsi quatre critères essentiels pour le processus de la béatification et de la canonisation : la réputation de sainteté ou de don thaumaturgique que nous venons de mentionner, le martyre, l'héroïcité des vertus, et enfin l'existence d'un miracle. La procédure qu'il mettra en place lorsqu'il accéda au Siège de Pierre fut conservée jusqu'en 1983 et la publication d'un nouveau code de Droit canonique qui remplaça, parfois de façon malheureuse, celui de 1917.

Quelle était cette ancienne procédure ? Elle commençait par un triple procès mené par un tribunal nommé par un évêque local : recherche et étude des écrits du saint potentiel, ceci pour vérifier l'orthodoxie de sa foi ; recueil des informations et des témoignages permettant de ratifier la sainteté, le martyre ou le miracle ; et enfin, procès sur l'absence de culte, c'est-à-dire exhumation des restes, visite des lieux où elle a vécu. Après cette démarche diocésaine, les résultats scellés étaient envoyés au dicastère romain compétent, la Sacrée Congrégation des Rites créée en 1588 par Sixte-Quint. Là, ils étaient soigneusement examinés par deux théologiens réviseurs qui transmettaient leur conclusion au Promoteur général de la foi, l' « avocat du diable ». Ensuite, les cardinaux membres de la Sacrée Congrégation se réunissaient pour décider du sort de l'épais dossier : le rejeter ou bien le soumettre à l'approbation pontificale. Si le pape signait pour introduire la cause, un Procès apostolique avait lieu, sur le même modèle que le procès diocésain, à base de lettres rémissoriales désignant des juges et les revêtant tous les pouvoirs nécessaires  pour l'enquête. Lorsque toutes les pièces de ce dossier étaient rassemblées, elles étaient remises à une commission de cinq cardinaux qui décidaient de la validité de cette étape. Alors un Rapporteur rédigeait la Positio, résumé de tout ce qui pouvait contribuer à la béatification ou à la canonisation. Ce texte ainsi que  les Animadversiones de l' « avocat du diable » et les remarques de l'Avocat de la Cause étaient transmis à un cardinal ponent, rapporteur qui les présentait à trois congrégations : l'antépréparatoire devant ce cardinal, les prélats et consulteurs ; la préparatoire, devant tous les membres de la Sacrée Congrégation ; et la générale, réunissant les mêmes mais avec la présence du Souverain Pontife. Si ce dernier signait, le Serviteur de Dieu devenait « vénérable » (par exemple Pie XII l'est encore...). Venait ensuite la reconnaissance des miracles, au minimum deux pour une béatification, puis ensuite deux nouveaux, survenus depuis la béatification, pour une canonisation. Cette dernière nécessitait de repasser par le système des trois congrégations au terme desquelles le pape pouvait signer le décret de tuto pour la canonisation annoncée par une lettre décrétale. Il faut ajouter qu'un procès diocésain ne pouvait pas être entrepris avant un délai d'au moins trente ans depuis la mort du Serviteur de Dieu ceci afin d'éviter au maximum les réactions émotives, l'admiration excessive, les cas douteux, les manipulations humaines, trop humaines.

Comme pour tout le reste du contenu de la foi et de la Tradition bien sûr, la réforme conciliaire après Vatican II va s'appliquer à « simplifier » les procédures. Elle aura lieu en plusieurs bonds successifs, à commencer par Paul VI qui, en 1969, va supprimer le double procès diocésain et apostolique, ne gardant que le premier, l'introduction de la cause, le décret de tuto, les triples congrégations cardinalices. Cela donne le feu vert pour l'aggiornamento de la façon dont on considère la sainteté et les miracles. L'oeuvre sera achevée par Jean Paul II publiant, selon ses termes, « le dernier document conciliaire » en 1983, à savoir la nouvelle édition du Code de Droit Canonique, et signant en même temps la Constitution apostolique Divinus perfectionis Magister au sujet des causes de canonisation. Désormais, un seul miracle est nécessaire pour une béatification, sauf pour un martyr, et un autre pour la canonisation, mais ce ne sera plus forcément une guérison. Par exemple, lorsque François canonise Jean XXIII, il précise que le miracle retenu est celui de la convocation du Second Concile du Vatican. Autre innovation dans le processus réformé : les miracles sont examinés par trois groupes, celui des « experts » (par exemple des médecins), celui des théologiens et celui des cardinaux du dicastère. De même la Positio tend à devenir centrale, véritable somme plus que résumé des faits saillants de la vie du candidat à la sainteté.

Tout ce qui précède est valable pour un des deux types de canonisation, celui dit « par voie d'absence de culte ». En revanche, il existe un second type dit canonisation per viam cultus ou équipollente. Cette dernière ne nécessite pas de procédure, pas de miracle, et provient d'une décision pontificale qui n'a rien d'arbitraire si les critères suivants, fixés eux aussi par Benoît XIV, sont respectés : existence ancienne d'un culte envers le Serviteur de Dieu, attestation constante des vertus de la personne rapportée par des historiens et des sources dignes de foi, et réputation d'accomplissement de prodiges passés et présents. Dès le XVIème siècle, des saints avaient été ainsi officiellement reconnus comme tels : par exemple saint Bruno le Chartreux en 1623. Depuis le XIXème siècle, parmi les saints « équipollents », se trouvent les trois saints Cyrille, saint Méthode, saint Albert le Grand etc. Benoît XVI utilisa cette forme de canonisation pour sainte Hildegarde de Bingen. François en fait un large usage, par exemple pour sainte Angèle de Foligno et saint Pierre Favre. À trop s'en servir, cette canonisation risque de devenir une canonisation de second ordre.

Le problème contemporain est d'ailleurs, de façon générale, d'avoir multiplié à outrance les béatifications et les canonisations. Jean-Paul II a canonisé 482 saints et béatifié plus de 1300 personnes. François, alors que son pontificat n'est pas terminé,  a canonisé 899 personnes et en a béatifié 1226, et encore, il est possible que ces chiffres ne soient plus à jour. Par comparaison, Pie XII avait canonisé 33 saints et en avait béatifié 163. Il semble bien que la simplification des procédures ait ouvert la porte à une sorte de surenchère. Comme nous l'avons vu, le but des canonisations est toujours de proposer des modèles particuliers de vertu et non point de couronner tous ceux qui ont été justes. La multiplication des modèles possibles risque de lasser et de regarder la procédure comme très relative. De plus, il y eu des cas de canonisations très rapidement menées durant les dernières décennies, oubliant ainsi la sage décision de Benoît XIV qui prescrivait un délai d'au moins trente ans après la mort de l'intéressé. Les réformes entreprises depuis 1969 en ce qui regarde le procès peuvent aussi diminuer les exigences des critères de reconnaissance de la sainteté. Difficile de le savoir ou de l'affirmer sans avoir accès aux dossiers, mais ce qui est visible pourrait conduire à la conclusion qu'il est plus facile d'être canonisé aujourd'hui. En tout cas, le recul et la prudence nécessaires sont bien amoindris.

 

 

Paix Liturgique : L'Église, en tout cas aujourd'hui, prétend-elle engager son infaillibilité en canonisant ?

Père Jean-François Thomas : Voilà la question brûlante actuellement car, jusqu'à il y a quelques décennies, elle ne venait guère à l'esprit des fidèles. Les actes d'un pape étaient tous reçus avec confiance, revêtus d'une autorité qui, sans être toujours attachée à l'infaillibilité d'une déclaration solennelle, apparaissait comme digne de confiance puisque fidèle à toute la Tradition de l'Église. Les choses ont commencé à se gâter avec la réforme des béatifications et canonisations entreprise par Paul VI puis terminée par Jean Paul II. La simplification et la rapidité des processus, la multiplication des canonisations et le couronnement sur les autels de personnes discutées sapèrent en partie l'adhésion naturelle de beaucoup de fidèles.

Nous avons vu que, dans le passé, certaines canonisations, plus politiques que religieuses, furent remises en cause et ces saints mis au placard sinon au purgatoire. Paul VI fut sans doute le pape qui regarda avec le plus de suspicion les canonisations opérées avant le XIIIème siècle, donc lorsqu'elles ne dépendaient point du Saint Siège. Au même moment où la collégialité, la synodalité, l'autonomie accrue des « Églises particulières » devenaient des refrains sans cesse repris en choeur, le pape remettait en doute la validité des canonisations des treize premiers siècles de l'histoire de l'Église. C'est ainsi que, ayant créé une énième commission pour réviser la présence des saints dans le calendrier liturgique, il en écarta beaucoup pour motif de manque de sources historiques, y compris de très populaires et pourtant vénérés depuis des siècles, comme sainte Catherine d'Alexandrie ou saint Christophe. La « science » remplaçait ainsi l'argument des siècles et d'un culte remontant à la plus haute antiquité de l'Église. Il n'alla pas jusqu'à « décanoniser » ces saints, tout simplement parce qu'un tel processus n'a jamais existé dans la Sainte Église, y compris pour les saints dont on doute soudain des vertus ou de l'utilité. Déchoir un saint n'est pas un acte d'infaillibilité puisque cela est réversible. Jean Paul II a rétabli sainte Catherine d'Alexandrie dans ses droits, si l'on peut dire. Saint Pie V d'ailleurs avait, lui aussi, relégué des saints trop peu historiques, saints pour la plupart réintégrés par ses successeurs dans le missel romain. C'est dire que les papes entre eux ne semblent pas être très sûrs de l'infaillibilité des canonisations de leurs prédécesseurs. La raison pour cela en est simple : il n'existe aucun document officiel spécifiant l'infaillibilité des canonisations. Simplement, la plupart des canonistes et des théologiens ont considéré et regarde encore le droit pontifical de canoniser comme infaillible. Ces savants, aussi respectables soient-ils, n'en sont pas autant eux-mêmes infaillibles et leur opinion, digne d'intérêt, n'a pas force de loi.

Il faudrait reprendre ici toute la complexe signification de l'infaillibilité pontificale pour y voir plus clair. Que les théologiens tiennent les canonisations pour des vérités connexes de la foi ne permet pas d'en déduire forcément que tout acte de canonisation est infaillible. Depuis la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale, il y a cent cinquante ans, la tendance aura été de le manipuler et de le déformer, soit en le niant, en le relativisant, soit en affirmant qu'il s'applique à tout ce qu'enseigne le pape. L'argument de ceux qui tiennent à la canonisation comme infaillible est que cet acte est « définitif et irréformable ». Dans la pratique, l'histoire de l'Église prouve que la façon dont les canonisations ont été regardées est beaucoup moins assurée, car, si aucune remise en question n'était possible, aucun Souverain Pontife n'aurait pu revenir sur les choix de ses prédécesseurs. Certes, aucun n'a « décanonisé », mais plus d'un a fait le tri. Or, ce qui est infaillible ne souffre pas de choix, même temporaire. Cela est ou n'est pas. Lorsque des interprétations commencent à fleurir, nous ne sommes plus en présence d'un dogme fixé ou d'un article de foi agréé. Pour conclure, répétons que, de toute manière, un fidèle n'est pas obligé d'avoir une vénération pour tous les saints. Ce qui importe est de s'attacher à certains afin d'être conduits à notre tour au sein de l'Église triomphante.

 

 


 



02/02/2021
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