Le Terrorisme pastoral

Le Terrorisme pastoral

La perte de la foi républicaine ....

Le Salon Beige nous informe 

 

Les Français ont perdu la foi… dans la religion républicaine

 

Les Français ont perdu la foi… dans la religion républicaine

 

 

Dans une note de l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier analysent les ressorts de l’abstention aux élections régionales régionales. Dès le titre, le ton est donné :

Abstention aux régionales : manifestation spectaculaire de la crise de foi républicaine

Les auteurs soulignent que les problèmes techniques d’organisation des élections ont eu une influence toute relative sur l’abstention. Ils proposent donc d’envisager

L’hypothèse d’une « neutralisation » et d’une « dépolitisation » du scrutin […]. Cela fait maintenant trente-cinq ans que les Français sont appelés à désigner leurs conseillers régionaux, consécutivement aux lois Defferre de 1982 sur la décentralisation. Or, comme l’illustre le graphique suivant, l’abstention a tendanciellement augmenté depuis 1986, alors que pendant plus de trois décennies les régions ont beaucoup communiqué sur leurs réalisations et sur leurs actions.

Les auteurs de la note décryptent une crise de foi républicaine dans la cause de l’abstention. Et ils osent un parallèle pertinent avec la crise de l’Eglise :

Pour importants que soient ces paramètres, nous pensons cependant que la montée tendancielle de l’abstention, qui s’est accélérée ces dernières années, doit beaucoup à la transformation de la demande, ou, dit autrement, à la mutation profonde du rapport au vote, voire à la citoyenneté des Français. Selon nous, cette hausse tendancielle de l’abstention constitue le symptôme de ce que nous pourrions appeler une crise de foi républicaine. Cette crise concerne à la fois le geste du vote mais également tout ce qui le sous-tend, c’est-à-dire le sentiment d’appartenance à un collectif de citoyens formant le corps électoral.

Toute chose étant égale par ailleurs, on peut dresser un parallèle entre la situation à laquelle les institutions républicaines doivent faire face aujourd’hui avec celle que connaît l’Église depuis plusieurs décennies. À partir des années 1960 et encore davantage depuis les années 1980, les églises ont été désertées par les fidèles et la participation à la messe dominicale est devenue un rite désuet. Au gré du renouvellement générationnel, cette pratique s’est perdue et est même devenue étrangère aux générations qui ont grandi dans une France qui fréquentait de moins en moins les églises. Le vote revêt lui aussi une dimension rituelle qui peut s’apparenter à une communion républicaine. Comme pour la messe, on vote aussi un dimanche, souvent en famille, et le passage dans l’isoloir comme devant l’assesseur confère à ce moment particulier un aspect solennel et cérémonial, à l’image de la communion. À l’époque où la participation était importante, l’affluence dans les bureaux de vote nourrissait chez l’électeur le sentiment d’appartenance à la communauté nationale comme des bancs garnis à l’église renforçaient chez les catholiques le sentiment d’appartenir au peuple des chrétiens. L’apprentissage de ces gestes et la transmission de cette culture républicaine et religieuse s’opéraient dans les familles, les jeunes enfants accompagnant régulièrement leurs parents au bureau de vote ou à l’église. Au fil du temps, ces mécanismes de transmission ont grandement perdu en efficacité et le fait de se déplacer dans un bureau de vote ne va plus du tout de soi dans les jeunes générations. Ainsi, d’après les données de l’Ifop, pas moins de 82 % des moins de trente-cinq ans ne se sont pas déplacés au premier tour, le fait d’aller voter à ce type de scrutin apparaissant comme véritablement obsolète aux yeux des jeunes. L’abstention a également été massive (près de 70 %) parmi les 35-64 ans. Seuls les soixante-cinq ans et plus, qui ont été socialisés politiquement dans la France des années 1950 et 1960, période à laquelle le vote était massivement pratiqué et perçu comme un véritable devoir, affichent un taux de participation relativement élevé (« seulement » 53 % d’abstention).

La hausse tendancielle de l’abstention observée au cours des dernières décennies s’éclaire ainsi d’un jour nouveau. Elle peut, en effet, se lire comme une conséquence du renouvellement générationnel avec le remplacement progressif des générations ayant baigné dans ce que Jean-François Sirinelli appelle la « civilisation républicaine », par des cohortes démographiques entretenant un rapport beaucoup plus distendu et désacralisé au vote. Pour le dire autrement, alors que certains commentateurs ont analysé l’issue des élections régionales comme la revanche de « l’ancien monde » sur « le nouveau monde », la forte abstention et le caractère obsolète que semble désormais revêtir l’acte même de voter et de se rendre dans l’isoloir tendraient plutôt à indiquer que nous avons assisté au dernier tour de piste de « l’ancien monde », comme si nous étions les témoins d’un monde « que nous avons perdu », pour reprendre le titre du livre de Jean-François Sirinelli. Dans certains départements ruraux à la population âgée du Sud-Ouest, cette civilisation républicaine, qui s’y était précocement enracinée, a un peu mieux résisté qu’ailleurs, comme en témoigne, par exemple, la persistance de la tradition de l’érection des mâts ou « mais » républicains devant le domicile des élus municipaux. L’abstention y a été un peu moins forte que sur le plan national : 56,2 % dans le Lot, 58,3 % en Corrèze et 59,3 % en Dordogne, par exemple. Mais même dans ces vieux bastions républicains, la crise civique est profonde.

La crise de foi républicaine est, selon nous, la conséquence d’une rupture anthropologique à l’œuvre dans la société depuis la fin des années 1960 et qui s’est encore amplifiée depuis une vingtaine d’années. L’individualisation et l’essor de la société du sur-mesure constituent des phénomènes difficilement compatibles avec le principe même d’un vote, geste à finalité collective.

Et en conclusion, nous avons de nouveau une métaphore avec la situation de l’Eglise :

Rite républicain par excellence, le vote dans l’isoloir serait donc devenu un geste désuet ou obsolète. Un ministre de premier plan déclarait ainsi dans Le Monde : « Nous avons des modalités de vote ringardes, on se croirait au temps de la télé en noir et blanc. Même la religion catholique a connu Vatican II, il faut sortir de cette religion du vote cantonné à l’école républicaine. » Le parallèle avec la période ayant précédé Vatican II est des plus intéressants. Ce concile avait, en effet, été convoqué car la hiérarchie catholique avait bien senti les multiples symptômes d’une prise de distance progressive et d’un éloignement des fidèles. Mais l’aggiornamento concédé sur les rites n’a pas constitué une réponse efficace au puissant mouvement de sécularisation qui était en cours et beaucoup s’accordent même aujourd’hui à penser que Vatican II, en abandonnant des rites et des pratiques, a accéléré le processus en sapant les piliers de ce que Guillaume Cuchet a appelé un « catholicisme populaire».    

Quand bien même des réponses techniques peuvent être apportées demain pour lutter contre l’abstention (vote par correspondance, vote électronique, lutte contre la mal-inscription, etc.), le cœur du problème réside dans cette crise de foi républicaine et cette prise de distance avec la chose publique.

Toutes choses étant égales par ailleurs, l’historien Stéphane Ratti a dressé une comparaison lumineuse entre l’état d’esprit ambiant et celui qui prévalait à la fin de la République romaine quand « un individualisme de confort a succédé comme modèle social à l’engagement cicéronien et à la prise de risque ». Dans notre société hédoniste, les citoyens adoptent de plus en plus une attitude consumériste, n’acceptant plus que les « rites du moi » comme seuls rites ayant encore le droit de cité. Le sociologue Paul Yonnet définit l’anniversaire comme symbole du « rite du moi » par excellence à partir des années 1980, anniversaire de la célébration de l’enfant du désir, qui « marque la rupture d’avec les époques antérieures où nos descendants, objets d’une attention moins obsessionnelle, étaient fabriqués à la chaîne parce qu’ils décédaient en grand nombre », pour reprendre les mots de Nicolas Santolaria. Pour le reste, à l’instar de copropriétaires peu investis, ils délèguent massivement leur pouvoir à des syndics de copropriétés pour gérer les affaires courantes et s’abstiennent donc lors des élections intermédiaires. La dépolitisation, engendrée par l’avènement du « en même temps » et l’affadissement du clivage gauche-droite, a renforcé cette tendance, les citoyens-électeurs ne daignant désormais sortir de leur cocon que tous les cinq ans pour désigner le patron du syndic de copropriété.

Les auteurs ne le disent pas, mais, pour reprendre l’adage populaire du “c’était mieux avant”, la république ayant perdu toute légitimité, et si on changeait de régime ?

 

 



08/07/2021
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 205 autres membres