Le Terrorisme pastoral

Le Terrorisme pastoral

Le pape, la politique et le peuple - 2

Le pape, la politique et le peuple -2

 

 

Dans l'article précédent nous avons analysé, la trouvaille verbale du pape François pour qualifier le peuple mexicain : «  le peuple catégorie mystique ». L'article de Sandro Magister se rapportait à un article du professeur Loris Zanatta sur le pape François et le populisme, paru en italien et en espagnol (dans la revue des jésuites argentins, Criterio, n° 2424, année 2016)).

 

Le professeur Zanatta a étudié  pendant vingt ans l'Eglise argentine et il lui a paru intéressant de considérer l'action du pape  à partir du catholicisme argentin et son contexte historico-culturel. Une partie de ce texte est citée après l’article de Sandro Magister. http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1351278?fr=y

 

Nous en donnons un extrait ci-après.

 

« Bergoglio est-il péroniste ? Oui, absolument. Toutefois il ne l’est pas en raison d’une adhésion donnée quand il était jeune, mais parce que le péronisme est le mouvement qui a consacré le triomphe de l’Argentine catholique sur l’Argentine libérale, ce qui a sauvé du cosmopolitisme des élites, les valeurs chrétiennes. C’est pourquoi le péronisme incarne pour Bergoglio la salutaire association entre le peuple et la nation en vue de défendre un ordre temporel fondé sur des valeurs chrétiennes et exempt de ce […] libéralisme protestant, dont l’ethos se projette comme une ombre coloniale sur l’identité catholique de l’Amérique latine.

(nous traduisons le texte omis)

[…] des (valeurs) libérales. En peu de mots, Bergoglio est le fils d’un catholicisme imprégné d’antilibéralisme viscéral qui s’est érigé à travers le péronisme en guide de la croisade catholique contre le… ]

Mais alors Bergoglio est-il populiste? Oui, absolument, à condition que ce concept soit compris comme il faut.

 […] : « Qu’on l’appelle péronisme ou d’une autre manière, les traits du populisme anti libéral sont toujours les mêmes. En effet, le populisme du pape n’a rien d’original sauf l’extension globale que sa charge lui confère. Mais avant de voir son contenu, il faut signaler une seconde prémisse. L’univers terminologique du pape :

Lors des grands voyages qu’il a faits en 2015 – Équateur, Bolivie, Paraguay ; Cuba et États-Unis ; Kenya, Ouganda, République Centrafricaine – François a prononcé 356 fois le mot "pueblo". Le populisme du pape se manifeste déjà dans les mots. En revanche un autre vocabulaire est moins familier à Bergoglio : il a prononcé à peine dix fois le mot « démocratie » et 14 fois le mot « individu », la plupart du temps dans un sens négatif. (Le mot pueblo figure 164 fois dans Evangelii Gaudium. ndrl)

 

[…]Il a répété au moins 73 fois le mot liberté dont au moins la moitié aux Etats Unis, et seulement deux fois à Cuba. »

 

 Est-ce que ces chiffres sont dépourvus de signification ? Pas tant que cela. Ils nous confirment ce que nous pressentions déjà, à savoir que la notion de "pueblo" est une pierre angulaire de son imaginaire social. […]

Le peuple, pour Bergoglio, est bon, vertueux, et la pauvreté lui confère d’entrée de jeu une supériorité morale. C’est dans les quartiers populaires, affirme le pape, que se sont conservées la sagesse, la solidarité, les valeurs de l’Évangile. C’est là que se trouvent la société chrétienne et le dépôt de la foi.

De plus, dans l’esprit du pape, ce "pueblo" n’est pas une addition d’individus, mais une communauté qui transcende ceux-ci, un organisme vivant animé par une foi ancienne, naturelle, dans lequel l’individu se dissout dans le tout. En tant que tel, ce "pueblo" est le peuple élu, gardien d’une identité qui est en danger. Ce n’est pas un hasard si l’identité est l’autre pierre angulaire du populisme de Bergoglio : une identité éternelle, imperméable au déroulement de l’Histoire, dont le "pueblo" a l’exclusivité ; une identité à laquelle toute institution ou constitution humaine doit se conformer afin de ne pas perdre la légitimité que lui confère le "pueblo".

Il va de soi que cette notion romantique de "pueblo" peut donner lieu à des discussions, de même que celle de supériorité morale du pauvre. Il n’y a pas besoin d’être anthropologue pour savoir que les communautés populaires ont, comme toutes les communautés, des vices et des vertus. Et le souverain pontife lui-même le reconnaît, se contredisant par là même, lorsqu’il établit un lien de cause à effet entre la pauvreté et le terrorisme fondamentaliste ; un lien qui, au demeurant, est improbable.

Mais idéaliser le "pueblo" aide à simplifier la complexité du monde, opération dans laquelle les populismes sont sans rivaux. La frontière entre le bien et le mal apparaîtra alors tellement diaphane que cela libèrera l’énorme force que possède toute cosmologie manichéenne. Voilà comment le pape en vient à opposer le "pueblo" bon et solidaire à une oligarchie prédatrice et égoïste. Une oligarchie transfigurée, sans visage et sans nom, essence du mal en tant qu’adoratrice païenne du dieu Argent : la consommation aboutit à la société de consommation, l’individu est égoïste, faire attention à l’argent est une adoration sans âme.  […] ».

 

 

 I - Pour être précis situons Juan Péron et Jorge Bergoglio dans le temps.

 

 

Juan Péron est né le 8 octobre 1895, Jorge Bergoglio, le 17 décembre 1936. Ils ont donc 40 ans de différence !

En juin 1943, le colonel Péron avec d’autres officiers fomentent un coup d’Etat. Il n’est pas parmi les hommes les plus remarquables mais obtient un ministère. Jorge Bergoglio a huit ans.

 

1945 nouveau coup d’Etat, Péron est arrêté le 9 octobre et libéré le 17 par les syndicats ouvriers pour lesquels il a pris fait et cause quelques mois auparavant. Il est élu Président de la république le 24 février 1946. Jorge Bergoglio a dix ans.

 

Péron fonde le parti « justicialiste », une sorte de travaillisme fondé sur la justice sociale. C’est un grand séducteur du peuple, style Mussolini et il instaure un culte de la personnalité aidé en cela par sa femme Eva. Ce n’est pas un dictateur et il conserve le multipartisme. Il se fait appelé le « Conducator ». Le père Meinvielle, analyste de la vie politique, le considère comme un Kerenski qui va apporter le communisme. Péron essaie  une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme. Il fait voter une constitution en 1947 puis en 1949 qui reconnaît le droit des travailleurs et le droit de la famille ainsi que la place des femmes dans la société.

On se tromperait grandement en voyant là une application des encycliques sociales des papes. Il suit le modèle fasciste et encadre la jeunesse comme le Duce ! Les femmes doivent entrer au parti des Femmes péronistes pour soutenir le mouvement social. Nous sommes plus près de l’encadrement idéologique de la société que du développement d’une société organique.

 

En 1949, Jorge Bergoglio entre dans une école industrielle ou il prépare et obtient un brevet professionnel de chimiste.  Il raconte à Sergio Rubin et Francesca Ambrogetti qu’à cette époque, il lit «  Nuestra Palabra y propositos », une publication du parti communiste. Il était surtout admiratif des articles d’un des membres, un homme cultivé, Leonidas Barletta, articles qui l’ont aidé dans sa formation politique. « Pero nunca fui communista ». Mais je n’ai jamais été communiste. (El PAPA Francisco – Conversaciones con Jorge Bergoglio, paru sous le titre « El jesuita » en 2010)

 

Dans les années d’immédiat après-guerre, l’Argentine connaît quelques années fastes ; en 1945 elle occupe le 5ème rang mondial pour son économie. Le péronisme se porte bien. Mais dès 1952 c’est la récession puis la catastrophe.

Peron est renversé par un coup d’Etat militaire le 16 juin 1955. Il s’exile en Espagne franquiste.

 

 Jorge Bergoglio rentre  trois ans plus tard au noviciat des jésuites.

 

C’est durant ces années que se constitue le péronisme. Mais avant d’y découvrir un populisme catholique, il est capital de connaître quelles furent ses relations avec l’Eglise d’Argentine.

 

 

II – Le péronisme… pas si catholique que ça !

 

Après l’extraordinaire Congrès Eucharistique de 1934, véritable hommage à l’hispanité en présence du cardinal Pacelli, l’Argentine retourne à son instabilité politique chronique à laquelle l’arrivée de Péron en 1945 et les lois mises en œuvre ne donnent qu’un court répit.

 

Ces dispositions nouvelles sont jugées à juste titre comme un contrôle de l’Etat sur les familles et la jeunesse. Le parti fondé par Eva Peron « el Partido Peronista Feminino » est, selon ses propre dires : « chargé de l’avenir de la nationalité et de l’élévation progressive de la femme pour propager et populariser la doctrine de Péron ».

 

On sait les liens étroit qui unissent l’Italie à l’Argentine et ceux encore plus étroit entre les deux Eglises. Tous les évêques argentins connaissent la leçon du fascisme et ne sont pas prêts à se laisser embarquer dans une version argentine du système. Le mariage religieux de Juan et Evita ne suffit pas !

Alfredo Manson écrit très justement que la revue péroniste Mundo peronista présente des valeurs culturelles et morales qui sans être opposées à la doctrine catholique ne se réfèrent pas à celles de l’Eglise en tant qu’institution  dépositaire de ces valeurs mais comme appartenant en propre au péronisme. Cette pratique est exactement celle de Jules Ferry avec son catéchisme laïc.

 

Dans le même temps c’est la naissance des démocraties chrétiennes en Amérique du Sud après l’extraordinaire voyage de Jacques Maritain qui répand partout sa « Nouvelle Chrétienté ». Les oeuvres de bienfaisance péronistes sont en concurrence avec celles de l’Eglise, la JOC avec les ouvriers péronistes ...etc.

Au congrès eucharistique national de Rosario en 1950,  Péron refuse de recevoir le cardinal Ruffini envoyé du pape Pie XII. Le Nonce va alors séjourner chez un particulier hors de la nonciature.

 

Le point culminant se situe en juin 1955 lorsque la police interdit la plus grande fête religieuse de la capitale, la procession du Corpus Cristi. Deux ecclésiastiques trop entreprenants sont expulsés vers le Chili : Mgr Manuel Tato évêque auxiliaire de Buenos Aires et Mgr Ramon Novoa qui, en fait, partent pour Rome.

Les contre manifestants brûlent le drapeau national et le remplacent par celui du Vatican.  Après avoir été renversé, Péron est excommunié pour avoir usé de violence contre des personnes ecclésiastiques et empêcher le fonctionnement de la juridiction ecclésiastique, excommunication « latae sentenciae ».

 

Sans entrer dans de plus amples détails disons que parmi les héritiers du péronisme nous retrouverons dix ans plus tard les Montoneros admirateurs de Castro et de Che Guevarra.

 

 

 Avis du biographe du Pape

 

Austen Ivereigh écrit page 30 dans « Le grand Réformateur » : Bergoglio n’a jamais été militant dans un parti politique et, après 1958 son entrée chez les Jésuites, il n’a jamais voté. Mais il a toujours eu une affinité naturelle avec la culture et la tradition politique représentée par le péronisme.

 

Page 71 : Quand Jorge a voté en 1958, cela  a été probablement pour Arturo Frondizi, un radical proches des nationalistes et des Démocrates Chrétiens arrivés au pouvoir en ayant promis la levée du bannissement (de Péron) en échange du vote des Péronistes.

 

Page 113 : Bergoglio n’était pas seulement proche de la Garde (de Fer) ; en février et mars 1974 – grâce à un ami, le Colonel Vicente Damasco, qui était un proche collaborateur de Péron – il fut l’un des douze experts invités à la rédaction de ses pensées pour un Modèle National, son testament politique, conçu pour aider à l’union des Argentins après sa mort. (Ce travail fut terminé avant sa mort, mais sa veuve Evita l’ignora…). Quand Péron mourut le 1 juillet, Bergoglio célébra une messe et envoya une lettre à la province jésuite pour ce décès dans laquelle  il soulignait qu’il avait été élu démocratiquement trois fois et « adoubé » par le peuple. Cependant la considération de Bergoglio pour le péronisme  comme véhicule des valeurs populaires du peuple fidèle ne fait pas de lui un militant du parti.

 

Pour comprendre cette proximité avec la Garde de Fer il faut rappeler qu’à l’Université des Jésuites il y avait trois formations politiques étudiantes. Chacune avait son conseiller spirituel. Bergoglio et Luzzi avaient en charge ceux de la Guardia de Hierro. Le péronisme de celle-ci était non violent, et tourné vers le peuple. (Austen Ivereigh op cit page 105).

 

 L’accusation qui fait du pape un membre de la garde de Fer est absurde.

 

 

Conclusion.

 

Le péronisme a revêtu tant de contenus divers au cours de plus d’un demi-  siècle qu’il est l’objet de très nombreuses interprétations. Il nous semble  cependant très excessif d’y voir un populisme catholique et encore plus de l’associer à la politique et au gouvernement du pape François.

 

Cependant l’étude du professeur Zanetta ne manque pas de choses intéressantes, il écrit : « Parler d’un peuple qui protège sa religiosité dans son essence pure et intrinsèque est pour le moins un mythe qui ne correspond pas à la réalité ».

 

Ce genre d’analyse reste cependant très loin d’une explication véritable !

 

Le jour où les historiens et les théologiens se pencheront sérieusement sur les deux sources de la religion du pape François, ils trouveront : la réforme de la Compagnie de Jésus élaborée et mise en œuvre par le père Arrupe à partir de 1965-1966 lors de la XXXI Congrégation Générale et appliquée à l’Eglise entière depuis cette date et illustrée parfaitement par le pape actuel.

 

La deuxième source est la théologie du peuple. Cette théologie a été façonnée en Argentine d’abord par des prêtres non jésuites puis principalement par le professeur du pape, Juan Carlos Scannone S.J. . C’est une réécriture de la théologie de la libération qui conserve son venin révolutionnaire mais sous les apparences de l’amour du peuple et des pauvres, nouveaux moteurs de la transformation de l’histoire et de l’Eglise.

 

Lorsque le 31 juillet 1973 le père Bergoglio est nommé provincial d’Argentine – il est le plus jeune provincial jamais nommé de toute l’histoire de la Compagnie de Jésus – il a un programme qui laisse peu de place aux élucubrations successives du péronisme ! Et le mois suivant il reçoit la visite du préposé général de la Compagnie, le Père Arrupe. On est alors en pleine préparation de la XXXII Congrégation Générale qui va bouleverser définitivement la Compagnie de Jésus et dont le Père Bergoglio est un des acteurs majeurs.

 

Les racines intellectuelles et théologiques du pape ne sont pas dans le magma péroniste. Nous en avons commencé l’étude ; elle sera longue, mais elle seule explique l’origine de la crise totalement inédite que nous vivons aujourd’hui.

 

 

 

 

 

 



28/04/2016
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