le pape qui vient de loin - 5
Le Pape qui vient de loin – 5.
Voici ce que l'on peut lire aujourd'hui : « ...beaucoup (de cardinaux), ne se gênent pas pour dire qu'ils ne connaissaient pas celui pour lequel ils ont voté » (Don Pio Pace).
Et encore : « Il est compréhensible qu'au cours des semaines qui suivent l'élection on cherche à sonder le passé proche et lointain du nouveau Pontife, d'en connaître les idées, les tendances, les habitudes afin d'en déduire, des mots et des gestes passés, le programme du nouveau pontificat ». (In Saint-Siège : Roi de droit divin).
L'argentin Carlos Pagni écrit dans La Nacion le 21 mars 2013, « … pour comprendre ‘le modèle Bergoglio’ il faut suivre les pistes de son engagement comme archevêque. Elles sont nombreuses ».
Nous avons constaté que les commentateurs religieux français ne brillent pas par leur souci de l’information. Certains même recopient sans vérification des références fausses. Le tout dans un concert d’éloges qui dépassent tout ce qu’on a pu voir et entendre dans le passé.
Les journalistes italiens ont été beaucoup plus professionnels. Voir Sandro Magister : http://www.chiesa.espressonline.it/dettaglio.jsp?id=1350982&fr=y.
Notre travail consiste essentiellement à remettre si possible le pontificat du Pape François en perspective.
Avec cette cinquième partie nous rencontrons celui qui est présenté par les admirateurs du Pape François, comme son inspirateur principal, Lucio Gera.
Comme il est totalement inconnu nous situons d’abord ce prêtre dans un context proche et lointain.
Lorsque le père Lucio Gera meurt en 2012, l’archevêque de Buenos Aires, Jorge Bergoglio, le fait enterrer avec les honneurs dans la cathédrale de l’archidiocèse. Il est alors reconnu comme expert au Concile Vatican II, et aux Conférences du CELAM à Medellin et Puebla. Une pareille consécration n’a, à notre connaissance, jamais été attribuée à personne depuis la création du diocèse de Buenos Aires le 6 avril 1620, ou celle de l’archidiocèse le 5 mars 1886.
Un de ses amis , Rafael Tello, dira de lui : “Il a illuminé l’Eglise en Amérique Latine et en Argentine dans l’esprit du Concile Vatican II”.
Dans l’histoire ecclésiastique récente dont nous verrons les détails, les participations du père Gera comme expert au Concile et aux Conférences du CELAM, situent sa pensée et son action à l’époque des grands boulversements dans le monde catholique.
Notre premier témoin sera le Père Ratzinger puis le Pape Benoit XVI.
Le père Ratzinger est le théologien du Cardinal Frings et après chaque session il donne une conférence. Celles-ci sont rassemblées dans un volume : “Mon Concile Vatican II”.
Voici ce qu’il écrit en mars 1966 après la dernière session du Concile (pages 245-246) : “Entre-temps s’est de plus en plus imposée une idée qui auparavant était considérée comme une exception rare, à savoir que Dieu peut sauver en dehors de l’Eglise même si, finalement, ce n’est quand même pas sans elle. Il en a résulté une compréhension nouvelle, optimiste, des religions païennes. Il est difficile de trouver fondement dans la Bible à ces idées chères à la théologie moderne. Car si quelque chose est étranger à l’Ecriture sainte, et peut bien même lui être déclaré contraire, c’est bien cet optimisme actuel des religions païennes qui les conçoit d’une certaine manière comme facteur de salut. Car cela ne s’accorde absolument pas avec la manière dont la Bible conçoit le salut. Il est important de relever avec quelle acuité le Concile a réagi contre des idées de ce genre, idées desquelles il semblait bien moins éloigné lors des débats sur les passages correspondants du schéma sur l’Eglise. Mais même lorsque l’on juge ici avec prudence, apparaissent de graves questions. Comme savoir par exemple si la vague de missions ne doit pas refluer, ou si la christianisation n’a pas détruit au mauvais moment des réalités qui auraient pu mûrir lentement et se sublimer, que d’être soudainement abattues par une prédication venue de l’extérieur dont la vérité vient à contretemps et du coup détruire plus qu’elle ne construit”.
Le père Ratzinger s’interroge encore sur l’évangélisation de l’Asie “Il n’existe pas à l’heure présente, d’authentique chrétienté asiatique qui aurait montré véritablement sa capacité à saisir l’âme des peuples et de leurs cultures.” Et après un détour sur l’unification de l’humanité il termine par ces mots : “…on pourrait très bien s’apercevoir, d’une manière tout à fait inattendue, à quel point la mission, également aujourd’hui, est , en un sens véritable, “nécessaire au salut”.
Nous sommes là au coeur de l’inculturation et on remarquera les nuances de l’analyse que fait le père Ratzinger. Il regarde le spectacle du Concile et retient tous les éléments sans rien sacrifier de ce qui est nécessaire au salut.
Lorsqu’en mai 2007, quarante ans après le Concile, le pape Benoît XVI s’adresse à l’Assemblée du CELAM il a pris la mesure de l’évangélisation du continent sud-américain :
« Mais, qu'a signifié l'acceptation de la foi chrétienne pour les pays de l'Amérique latine et des Caraïbes? Pour eux, cela a signifié connaître et accueillir le Christ, le Dieu inconnu que leurs ancêtres, sans le savoir, cherchaient dans leurs riches traditions religieuses. Le Christ était le Sauveur auquel ils aspiraient silencieusement. Cela a également signifié qu'ils ont reçu, avec les eaux du Baptême, la vie divine qui a fait d'eux les fils de Dieu par adoption; qu'ils ont reçu, en outre, l'Esprit Saint qui est venu féconder leurs cultures, en les purifiant et en développant les nombreux germes et semences que le Verbe incarné avait déposés en elles, en les orientant ainsi vers les routes de l'Evangile. En effet, à aucun moment l'annonce de Jésus et de son Evangile ne comporta une aliénation des cultures précolombiennes, ni ne fut une imposition d'une culture étrangère. Les cultures authentiques ne sont pas fermées sur elles-mêmes ni pétrifiées à un moment déterminé de l'histoire, mais elles sont ouvertes, plus encore, elles cherchent la rencontre avec les autres cultures, elles espèrent atteindre l'universalité dans la rencontre et dans le dialogue avec les autres formes de vie et avec les éléments qui peuvent conduire à une nouvelle synthèse dans laquelle soit toujours respectée la diversité des expressions et de leur réalisation culturelle concrète.
En dernière instance, seule la vérité unifie et la preuve en est l'amour. C'est pour cette raison que le Christ, étant réellement le Logos incarné, "l'amour jusqu'au bout", n'est étranger à aucune culture ni à aucune personne; au contraire, la réponse désirée dans le cœur des cultures est celle qui leur confère leur identité ultime, en unissant l'humanité et en respectant dans le même temps la richesse des diversités, en ouvrant chacun à la croissance dans la véritable humanisation, dans l'authentique progrès. Le Verbe de Dieu, en se faisant chair en Jésus Christ, se fit également histoire et culture.
L'utopie de redonner vie aux religions précolombiennes, en les séparant du Christ et de l'Eglise universelle, ne serait pas un progrès, mais plutôt une régression. En réalité, il s'agirait d'un retour vers un moment historique ancré dans le passé.
La sagesse des peuples originaires les conduisit, fort heureusement, à créer une synthèse entre leurs cultures et la foi chrétienne que les missionnaires leur offraient. C'est de là qu'est née la riche et profonde religiosité populaire, dans laquelle apparaît l'âme des peuples latino-américains:
- L'amour pour le Christ souffrant, le Dieu de la compassion, du pardon et de la réconciliation; le Dieu qui nous a aimés jusqu'à se livrer pour nous;
- L'amour pour le Seigneur présent dans l'Eucharistie, le Dieu incarné, mort et ressuscité pour être Pain de Vie;
- Le Dieu proche des pauvres et de ceux qui souffrent;
- La profonde dévotion à la Très Sainte Vierge de Guadalupe, l'Aparecida, la Vierge des diverses invocations nationales et locales. Lorsque la Vierge de Guadalupe apparut à l'indio Saint Juan Diego, elle lui adressa ces paroles significatives: "Ne suis-je pas ici moi qui suis ta mère? N'es-tu pas sous mon ombre et mon regard? Ne suis-je pas la source de ta joie? Ne demeures-tu pas à l'abri sous mon manteau entre mes bras?" (Nica Mopohua, nn. 118-119). » (Les passages en gras sont de nous).
Tel est le contexte dans lequel le père Lucio GERA a œuvré. Mais sa réflexion, dès l’origine a été orientée par des maîtres qui eux voulaient changer l’Eglise et elle n’est finalement qu’un succédané de la théologie de la libération. Lucio Gera était, avec quelques autres, sous l’influence des réformateurs avancés de Vatican II, l’oracle de l’Eglise argentine d’hier et d’aujourd’hui.
Avec la volonté du Père Scannone (voir les articles précédents) de rattacher la théologie du Pape à la « théologie populaire argentine » nous retournons soixante ans en arrière dans l’effervescence du Concile. Et dans la conclusion d’un article publié par Amérindia en août 2014 qui rapporte l’estime de Karl Rahner pour les apports de la théologie latino-américaine à la théologie de l’Eglise et à la théologie universelle ( ?), le père Scannone affirme, en reprenant la formule de Jean XXIII, que la théologie libératrice et la religion du peuple sont : « une part de l’air frais du sud qui a fait irruption dans l’Eglise grâce au Pape venu du bout du monde ».
Plus curieux encore cette étonnante coïncidence verbale dans la reprise d’un mot de Paul VI qui nous replonge au cœur des débats conciliaires.
Paul VI, s’adressant au journaliste Alberto Cavallari du Corriere della Sera, lui déclare : « Il faut être simples et avisés pour saisir le sens de ces années que nous sommes en train de vivre. L’Eglise veut devenir polyédrique, pour mieux refléter le monde contemporain ». (Cité par Roberto de Mattei in, Vatican II, une histoire à écrire. Page 331).
Dans l’article cité plus haut, le père Scannone écrit : « …le Pape François, lorsqu’il parle du Peuple de Dieu, se réfère à son visage pluriforme (Evangelii gaudium 116) et à son harmonie multiforme (ibid117), grâce à la diversité des cultures qui les enrichissent. Lorsqu’il fait allusion aux peuples, il utilise analogiquement l’image du polyèdre pour marquer l’unité plurielle des irréductibles différences qui existe au sein du peuple (en el seno del mismo).
La connaissance des textes permet de découvrir des origines et des filiations inattendues. Ainsi, le père Jorge Méjia S.J., argentin, expert au Concile écrit : « la théologie des documents conciliaires(…) c’est la théologie de la périphérie ».
Avec la vie et la théologie de celui qui a illuminé l’Amérique Latine nous allons rencontrer un monde semble-t-il ignoré des commentateurs actuels.
Nous allons découvrir que les pontificats de Saint Jean-Paul II et de Benoît XVI ont colmaté en partie les dégâts du tsunami Vatican II. Cependant l’Amérique Latine pour des raisons propres n’a pas bénéficié vraiment de ce retour à l’équilibre. Aujourd’hui sont installés aux postes clés, les héritiers des novateurs de la révolution conciliaire. Ils ont été autrefois les amis de Benoît XVI et ne lui ont pas pardonné le formidable changement de cap qui a réussi à éloigner la barque de Pierre des rivages semés d’écueils. Nous vivons la troisième manche de la bataille conciliaire.
A suivre…
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