Le Pape qui vient de loin - 6
Le pape qui vient de loin – 6
Dans notre article précédent nous avons resitué le père Lucio GERA, concepteur de la « théologie du peuple », spécificité argentine, et principal inspirateur du pape François,
dans le contexte post conciliaire. Nous avons constaté l'attachement « conciliariste » de cette théologie, attachement que nous approfondirons ultérieurement. Alors que notamment avec les papes Saint Jean-Paul II et Benoît XVI le vide conciliaire se comblait, l'arrivée du Pape François voit le retour des revendications les plus progressistes du Concile Vatican II.
Or, ce retour n'est pas perçu comme tel dans son fondement car l'histoire de l'Eglise d'Amérique Latine depuis soixante ans n'est connue que très superficiellement dans notre pays et ...ailleurs. La « théologie de la libération » appartient au passé. Les papes se sont adressés directement à ce continent et les images des foules assemblées nous ont donné une impression de développement serein à peine troublé par quelques agitations sans importance surtout depuis la chute de l’Union Soviétique
Le pape François est porté par cette ambiance et il faut les secousses du synode sur la famille et l'affaire des Franciscains de l'Immaculée ou la grossière réprimande des cardinaux pour percevoir que quelque chose ne fonctionne plus normalement.
Et comme nous ne savons presque rien on invente des explications de circonstances sans voir que le progressisme échevelé de l'Europe post conciliaire a envahi en son temps l'Amérique Latine et nous revient en pleine figure après avoir prospéré de Mexico à la Terre de Feu en passant par le Nicaragua, la Colombie, le Brésil, la Chili et l'Argentine ...etc.
Ce que l'homme a semé c'est ce qu'il récoltera. Et nous n'avons pas vu ce qui avait été semé et où !
Des dizaines de milliers d’articles, des milliers de livres, des milliers de réunions ont couvert le continent pendant plus de six décades. Les échanges incessants entre la vieille Europe racornie du modernisme et l'aile révolutionnaire de l'Amérique Latine ont donné leurs fruits empoisonnés.
Comment l'aurions-nous su sans lire au moins un peu des activités de Helder Camara, sans suivre plus tard l'activité de l'Agence Amérindia. Nous nous sommes cantonnés pour notre part aux affaires de financement douteux du CCFD ou de Misereor. C'était l'écume.
La vraie histoire de cette Eglise était ailleurs.
Lorsque nous lisons le livre du père Wiltgen, « Le Rhin se jette dans le Tibre – le Concile inconnu » (1967), nous n'apprenons rien de ce qu'ont fait les latino-américains. A peine quelques mots sur Helder Camara et sur les deux groupes de pression qu’il anime. C'est l'alliance mortelle européenne qui a dominé littéralement le Concile. Il n'y a pas de grandes interventions d'évêques latino- américains (surnommés par dérision « la Iglesia del Silencio ») face aux Allemands, aux Français, aux Hollandais, aux Autrichiens, aux Italiens. Helder Camara ne figure pas dans l'index des noms du livre que nous citons. Et cependant il en a été un des membres les plus actifs et discret…
Il faut attendre, 2013, avec le livre du professeur Roberto de Mattei, « Vatican II, une histoire à écrire» pour avancer dans ce dédale. Il faut l'avouer nous ne savons pas grand-chose pour comprendre ce qui se passe. A titre d'exemple voici la référence 79 donnée page 18 par R. de Mattei :
« Concernant les nombreux groupes para conciliaires, il est indispensable de consulter l'étude de Salvador Gomez y Catalina, Grupos 'extra aulam' en el Concilio y su influencia » ; trois livres en neuf volumes pour un total de 2585 pages. »
Après les rapprochements que nous avons établis dans notre article précédent, ces repères sont nos deuxièmes témoins pour comprendre une situation qui nous a échappé. Ce que nous voyons aujourd'hui n'est pas né par génération spontanée, ce n'est pas une affaire de caractère, de culture ou d'éducation, c'est une question grave de théologie et de doctrine catholiques.
Cela ne veut pas dire que la presse progressiste française n’a rien publié. Elle a été prolixe pendant des années mais c’était une information à sens unique sur les triomphes qui ont accompagné le Concile et sur l’avenir radieux qui allait se lever sur le continent latino-américain après avoir illuminé l’Europe. Cette littérature se confondait d’ailleurs avec celles des luttes politiques et sociales qui ont ensanglanté ce continent..
Après avoir plongé dans le magma de la « Théologie de la Libération », (Il y a même une théologie juive de la libération), il est clair qu’avant d’être une théologie de combat politico- social, c’est chronologiquement une théologie directement issue du modernisme qui veut une nouvelle Eglise, une nouvelle hiérarchie, un nouveau credo, une nouvelle messe ; la nouvelle pastorale n’a pas d’autre objectif que de réaliser ce programme.
La biographie de Lucio Gera et de quelques autres nous permettra de suivre le parcours de l'affrontement de ces deux conceptions de l'Eglise qui n'ont pas cessé depuis la crise moderniste dénoncée et décrite par Saint Pie X.
Marcello Larraquy rapporte les propos de Léonardo Boff dans « Clarin », quotidien argentin, du 15 mars 2015.
ML - Quelques-uns craignent que ce processus de réformes ne finisse par désarmer l’édifice doctrinal de l’Eglise ?
LB - Il y a deux modèles qui s’affrontent ? Le doctrinal, avec les dogmes du droit canonique, c’est comme ça que ça a fonctionné jusqu’à maintenant. Et l’autre, celui du Peuple de Dieu, une Eglise qui respecte la faillibilité de l’être humain, sa faiblesse et, comme pasteur, l’accompagne. Dans une Eglise il y a un pasteur ; dans l’autre il y a un docteur. La position du pape est claire. Il faut que l’Eglise chemine avec l’histoire et apprenne à lire les signes des temps.
ML - Après deux années de Pontificat, quel sera le legs de François ?
LB - Selon mon jugement, il va créer une dynastie de Papes du Tiers-Monde, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine qui vont apporter un sang nouveau à la vieille chrétienté européenne qui est décatie, d’une certaine façon agonisante. Son legs sera moins une Eglise centralisée à Rome qu’un immense réseau de communautés dans le monde entier et le Pape sera comme quelqu’un qui se promènera parmi elles. Ce ne sera pas une Eglise seulement occidentale. Ce sera une Eglise Globale. »
Le Pape François correspond-il déjà un peu à ce portrait ?
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