Caritas : l’exercice de l’Amour de la part de l’Eglise en tant que « Communauté d’Amour »
Robert Cardinal Sarah 22 mai 2011
Caritas : l’exercice de l’Amour de la part de l’Eglise en tant que « Communauté d’Amour »
(Intervention à l’Assemblé Générale de Caritas Internationalis, Rome)
"Eminence,
Chers Membres de Caritas Internationalis,
I. Je me réjouis d’être avec vous pour fêter les soixante ans de Caritas Internationalis, et je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole au cours de votre Assemblée Générale.
J’aimerais adresser tout d’abord un mot de reconnaissance et de remerciement à tous ceux qui oeuvrent, d’une manière ou d’une autre, à des activités caritatives, au sein des diverses Caritas nationales que vous représentez ici, et qui donnent de leur temps et de leur énergie au service du prochain, au nom de la charité du Christ.
II. Il y a quelques mois, comme vous le savez, j’ai été nommé président du Conseil Pontifical Cor Unum. Et je voudrais brièvement esquisser le profil de ce Conseil Pontifical en reprenant les documents les plus marquants qui ont jalonné son existence et qui marquent son évolution en ces 40 ans.
Ce dicastère a été fondé le 15 juillet 1971 par le Pape Paul VI . Cette initiative pontificale visant à stimuler la promotion humaine et chrétienne répondait au désir du Saint-Siège de réagir face à la situation de pauvreté écrasante de certains pays dans le monde. Elle entendait au même moment créer une structure permettant de coordonner et d’unifier les efforts de l’Eglise lors d’interventions en faveur des plus démunis. En regardant de plus près, on constate que la source de cette décision se base sur la constitution dogmatique Gaudium et Spes à son N° 88, où le Concile affirme que : «l’esprit de pauvreté et de charité est, en effet, la gloire et le signe de l’Eglise du Christ. Il faut donc louer et encourager les chrétiens, les jeunes en particulier, qui s’offrent spontanément à secourir d’autres hommes et d’autres peuples. Bien plus, il appartient à tout le peuple de Dieu, entraîné par la parole et l’exemple des Evêques, de soulager, dans la mesure de ses moyens, les misères de ce temps; et cela, comme c’était l’antique usage de l’Eglise, en prenant non seulement sur ce qui est superflu, mais aussi sur ce qui est nécessaire. Sans être organisée d’une manière rigide et uniforme, la manière de collecter et de distribuer les secours doit être cependant bien conduite dans les Diocèses, dans les nations et au plan mondial... » (GS N° 88).
En ce qui concerne la coordination avec les organismes caritatifs de l’Eglise, il faut souligner que notre activité est guidée par le principe de la promotion humaine intégrale de la personne. Il ne s’agit donc pas seulement d’une assistance philanthropique et humanitaire visant à soulager un certain type de détresse, mais aussi et surtout à rendre à la personne humaine toute sa dignité d’enfant de Dieu, et à promouvoir une anthropologie qui englobe également la dimension religieuse de la personne humaine, c’est-à-dire de sa rencontre avec Dieu.
Le Pape Paul VI, dans son Encyclique Populorum progressio, publiée en 1967, éclairait déjà le grand thème du développement des peuples, de la splendeur de la vérité et de la douce lumière de la Charité du Christ. « Il a affirmé que l’annonce du Christ est le premier et principal facteur de développement et il nous a laissé la consigne d’avancer sur la route du développement de tout notre coeur et de toute notre intelligence, c’est-à-dire avec l’ardeur de la charité et la sagesse de la vérité.
C’est la vérité originelle de l’Amour de Dieu qui ouvre notre vie au Don et qui rend possible l’espérance en un développement humain intégral de tout l’homme et de tous les hommes » (Benoît XVI, Caritas in veritate N° 8)
Le document, qui, pour nous, est fondamental, est l’encyclique « Deus Caritas est ». Publiée en 2005, elle présente pour la première fois une doctrine officielle sur la charité. Pour le Pape Benoît XVI, l’impératif et la pratique de la charité, de l’amour du prochain, sont d’une grande importance. L'Église ne peut pas renoncer à sa proclamation, même si de nos jours, du moins dans le monde occidental, un humanisme sans Dieu semble être devenu partie intégrante et durable de la culture ambiante. Le Pape Jean-Paul II parle, avec amertume, des pays et des nations où la religion et la vie chrétienne étaient autrefois on ne peut plus florissantes et capables de faire naitre des communautés de foi vivante et active et qui, aujourd’hui, sont radicalement transformées, par la diffusion incessante de l’indifférence religieuse, de la sécularisation et de l’athéisme. Il s’agit en particulier des pays et des nations de ce qu’on appelle le Premier Monde, où le bien-être économique et la course à la consommation … inspirent et alimentent une vie vécue « comme si Dieu n’existait pas ». Actuellement l’indifférence religieuse et l’absence totale de signification qu’on attribue à Dieu, en face des problèmes graves de la vie, ne sont pas moins préoccupantes ni délétères que l’athéisme déclaré. A côté de son gigantesque progrès matériel, scientifique et technologique, l’occident connait, aujourd’hui une grave régression morale et une progressive «apostasie silencieuse» (cf. Christifideles Laici, N° 34). Il est indubitable que, depuis le début de son pontificat, le Pape Benoît XVI considère cette “indifférence religieuse” et cette “apostasie silencieuse” comme le défi majeur que l’Eglise doit affronter de nos jours, dans son rapport avec le monde moderne. C’est pourquoi, il est plus que jamais déterminé à rendre notre intelligence plus consciente et notre foi plus visible, plus active, en vue de manifester au monde que la mission de l’Eglise s’ancre profondément dans la foi en Dieu : Père, Fils et Esprit Saint. Cela vaut aussi, sans aucun doute, pour la diakonia. En effet la Diaconie réalise, avec la proclamation de la Foi et la liturgie, la mission de l’Eglise.
Ces dernières années le thème de la charité a connu une vaste expansion, ce qui élargit également le domaine d’action de ce Dicastère. De nombreuses problématiques nouvelles comme:
la perception et la réflexion théologique sur la charité, la différence entre théologie de la charité et doctrine sociale de l’Eglise, le lien ecclésial entre les agences catholiques d’aide, les motivations de l’engagement caritatif du chrétien, le volontariat catholique, le rapport avec les institutions publiques, ont vu le jour et obligent le Conseil Pontifical Cor Unum à entamer une réflexion théologique approfondie sur le concept de la Charité et sur ce que doit être, entre autres, l’itinéraire des agences catholiques de la charité à la lumière de Deus Caritas est. Cette réflexion et cette étude approfondie, nous devons la mener ensemble par souci de fidélité à notre foi en Jésus, qui nous dit :
« à ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous manifestez de l’Amour les uns pour les autres ». (Jn 13,35)
Demandons-nous dés lors, comment faire pour que le sel de la Charité de tant de fidèles laïcs, de consacrés et de leurs familles religieuses ne perde pas de saveur? Comment aider les fidèles laïcs et ces religieux et religieuses, qui dirigent des organismes caritatifs ou des Institutions de charité à la solidité éprouvée par le temps, à vivre une nouvelle docilité au vent de la Pentecôte, à passer des oeuvres de la loi à celles de la foi? Comment aider les fideles laïcs et les religieux engagés aux frontières de l’urgence (immigration, refugiés, personnes déplacées par suite de la guerre ou des catastrophes naturels, prisons, pastorale des enfants de la rue, etc…) à savoir « dire », chaque jour, de manière crédible la fraîcheur de l’annonce évangélique dans ce qu’ils sont et ce qu’ils font? S’il est vrai que le monde dans lequel nous vivons, est le lieu de l’Evangile, alors servir la promotion humaine non seulement n’est pas contraire à l’adoration de Dieu, mais la prépare et en est une expression authentique et nécessaire. Quiconque se dit disciple de Christ ne trouvera pas dans les oeuvres au service des hommes d’espace neutre ou encore moins d’obstacle à cet unique Amour, mais il pourra y voir une réalisation concrète de sa rencontre personnelle avec Jésus, et le rayonnement de sa foi et de son amour pour Dieu. Encore fait-il que ses oeuvres naissent d’une profonde union à Dieu, que ses oeuvres s’appuient sur l’aide de sa grâce plus que sur les moyens humains et matériels ; en somme qu’elles soient les oeuvres de la foi et non de la loi, fruit de la gratitude d’un coeur qui voit, qui aime et non de la recherche d’une gratification d’une vie pauvre d’amour. « Le programme du chrétiens, affirme le Pape Benoît XVI, est ‘un coeur qui voit’. Le cœur voit où l’Amour est nécessaire et il agit en conséquence» (Deus Caritas est, N° 31).
III. Caritas Internationalis
Caritas Internationalis fête cette année son 60ème anniversaire. Comme vous le savez, elle est le fruit d’une initiative du Siège Apostolique qui a voulu une confédération sui generis pour garantir un lien de représentation et de coopération des Caritas nationales. Je suis sûr que la célébration de cet important Anniversaire vous permettra de vous arrêter un instant pour un examen de conscience et pour une analyse de la nature juridique et du fonctionnement de la Confédération.
Si l’Eglise de Vatican II est “l’ecclesia semper reformanda, semper renovanda et purificanda”, les membres de Caritas Internationalis ne sont pas moins appelés à se renouveler et à se reformer dans l’esprit de ce même Concile. Réaliser et gérer les oeuvres de la charité est une tâche qui ne peut se soustraire à l’effort d’un tel «aggiornamento» : d’une telle «mise à jour». Et la seule et unique condition possible pour s’en acquitter est de vivre selon le discernement spirituel et pastoral, attentif aux signes des temps, ouvert à l’écoute de la Parole de Dieu et capable de conjuguer les deux fidélités – à Dieu et à l’histoire – dans l’unique amour de charité. Cela demandera de notre part beaucoup d’humilité. La question que nous devons nous poser est donc de savoir si notre charité est humble; si ce que nous faisons, nous le faisons en vue d’un but, d’un intérêt, d’un retour ou bien par pure gratuité. Comme dit Saint Paul: «la Charité ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la Vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout» (1Cor 13, 5-7). Saint Paul nous interpelle vivement: dans quelle mesure notre intention est-elle gratuite lorsque nous faisons nos oeuvres de charité et servons les pauvres et les faibles? Nous recherchons-nous, recherchons-nous notre succès, la considération et l’accroissement de notre éventuel pouvoir humain, ou bien uniquement l’Amour de Dieu et des pauvres auxquels Il nous envoie? Notre richesse et la puissance des nos moyens financiers ne sont-elles pas souvent occasion d’écraser, de faire pression et d’humilier les pauvres et de leur imposer nos choix idéologiques? Nos œuvres sont-elles œuvres de la loi ou de la foi ? Sontelles motivées par la logique des intérêts ou par la charité humble et gratuite?
La réflexion théologique de ces jours qui viennent doit avoir cet objectif, tandis que les discussions sur la structure juridique de Caritas Internationalis voudraient avoir pour but de garantir sa vocation à demeurer essentiellement et structurellement instrument de la charité de l’Eglise.
En effet, le 16 septembre 2004, le Pape Jean-Paul II, par son chirographe « Au cours de la dernière cène », accorde à cette confédération la personnalité juridique publique canonique. Par cet acte, il a souligné à nouveau l’importance de votre organisation et a voulu l’unir plus étroitement au Siège Apostolique pour garantir toujours plus la spécificité de votre témoignage de charité dans notre monde. Vous aurez l’occasion d’écouter demain, Son Excellence Mgrs Arrieta sur les développements des aspects juridiques, qui - je le répète – ont, dans la tradition de l’Eglise, comme rôle de garantir toujours plus la spécificité de votre charisme.
IV. Regards sur la Pastorale de la Charité, aujourd’hui
Ainsi que je l’ai esquissé plus haut, l’encyclique Deus Caritas est, est le document de référence et d’orientation de toute l’activité caritative, aujourd’hui, dans l’Eglise Catholique.
En commençant son encyclique, le Saint-Père nous indique d’emblée que la source de toute Charité est Dieu et que le Fils de Dieu, qui s’est incarné et a donné sa vie par amour pour nous sauver, nous montre la charité du Père. L’Eglise, à son tour, continue la mission du Fils de Dieu; elle n’en n’a pas d’autres. Elle continue à proclamer par la parole et à manifester per les oeuvres que Dieu est Amour, et que, par Amour, il désire sauver l’homme en toutes ses dimensions et à l’acheminer vers son destin éternel. Elle fait briller devant les hommes la lumière de sa foi afin qu’ils voient ses bonnes oeuvres et glorifient Dieu. Commentant Mt 5, 16 : « Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres, et glorifient votre Père qui est aux cieux», le Père Pavel Florenskij, prêtre théologien et philosophe Russe, mort martyr de la barbarie stalinienne, fait remarquer que l’expression «bonnes oeuvres», ne signifie nullement «bonnes actions» au sens philanthropique et moraliste du terme; mais elle signifie «belles actions», révélations lumineuses et harmonieuses de la personnalité spirituelle. L’expression évoque surtout un visage lumineux, beau, d’une beauté par laquelle se répand à l’extérieur la lumière intérieure de l’homme habité par Dieu; vaincus par le caractère irrésistible de cette lumière, les hommes louent le Père Céleste dont l’image resplendit ainsi sur la terre.
Le témoignage de la charité, voie privilégiée de l’Annonce de l’Evangile de Jésus, se réalise à travers le resplendissement de la beauté du coeur dans les actions du disciple du Christ intérieurement transfiguré par l’Esprit: là où la charité rayonne l’intériorité transformée par l’Esprit, là paraît la beauté qui sauve, là est rendue la louange au Père Céleste et grandit l’unité des disciples de Jésus, unis à Lui comme disciples de Son Amour crucifié et ressuscité (cf. P. Florenskij, Le porte regali. Saggio sull’icona, Adelphi, Milano 1997, 50).
Ainsi «le service de la charité n’est pas simplement une activité humanitaire d’assistance sociale qu’on pourrait déléguer à d’autres organismes. Il appartient à la nature de l’Eglise, il est une expression de sa propre essence, à laquelle elle ne peut renoncer» (cf. Deus Caritas est N° 29)http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclicals/documents/hf_benxvi_enc_20051225_deus-caritas-est_fr.html - _ftn17. Dans son service donc l’Eglise manifeste la charité du Christ.
Ceci implique que l’Eglise est le sujet directement responsable du service de charité et que ses organisations caritatives constituent son opus proprium, une tâche conforme à sa nature, et participent à sa mission (cf. Deus Caritas est, N° 29). Le propre de la participation est d’être en quelque sorte un instrument, mais jamais d’être la source ou la fin de ce que l’on sert. De plus il me semble important de comprendre que nos organismes de charité se situent dans l’Eglise et non pas à côté d’elle. Une Caritas qui ne serait pas une expression ecclésiale n’a pas de sens ni d’existence.
L’Eglise ne peut être considérée comme un partner des organisations catholiques. Ce sont les organismes qui participent à sa propre mission. Cela nous donne une responsabilité, une vocation, un engagement spécial: celui d’être au coeur de l’Eglise comme la plus belle, et la plus réelle manifestation et expression de son essence, celle de la charité de Dieu.
De plus, comme la structure de l’Eglise est épiscopale, les organismes caritatifs dépendent des évêques qui, en qualité de successeurs des Apôtres, portent la responsabilité première de la vie de l’Eglise et donc de la mise en oeuvre de la DIACONIE. Il est donc nécessaire que les organismes caritatifs puissent véritablement oeuvrer en pleine communion et en lien profond avec l’évêque local, et selon ses orientations pastorales, afin d’être pleinement intégrés dans la mission de l’Eglise. Il est également une tâche particulière des Évêques de ne pas abandonner leurs organismes de charité, mais de les aider, de les promouvoir, de les considérer comme un aspect central de leur responsabilité pastorale envers le Peuple de Dieu. J’encourage fortement les Evêques ici présents à ne jamais oublier ou négliger de porter une attention toute spéciale aux oeuvres de charité de l’Eglise et aux organismes qui les gèrent au nome de l’Eglise en tant que « Communauté d’Amour».
Ce service de la Charité fait partie des trois missions qui expriment la nature profonde de l’Eglise. Diakonia, Leiturgia, Martyria, s’appellent l’une l’autre et ne peuvent être séparées. Il arrive souvent que la présence de l’Eglise à travers le service de la charité soit le seul moyen d’évangéliser. Mais dans cette annonce, de quoi voulons-nous témoigner ? Il ne s’agit pas de faire du prosélytisme. « Celui qui pratique la charité au nom de l’Eglise ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l’Eglise » (Deus Caritas est, N° 31 c). Il s’agit de témoigner en effet d’un amour qui ne vient pas de nous, mais qui vient de Dieu. Il nous faut exprimer la compassion, l’amour et le salut de Dieu réalisés en Jésus Christ. Remplir le monde de lumière, être sel et lumière, c’est ainsi que le Seigneur a décrit la mission de ses disciples. Porter jusqu’aux extrémités de la terre la bonne nouvelle de l’Amour de Dieu, c’est à cela que les chrétiens doivent consacrer leur vie, d’une manière ou d’une autre. Certains d’entre vous se demandent peut-être comment, de quelle manière, peuvent-ils communiquer cet Amour de Dieu, cette connaissance du Christ aux autres? Est-ce que nous devons, en nos activités caritatives, annoncer explicitement Jésus Christ et son évangile? Je vous répondrai qu’il faut porter aux autres Jésus Christ avec naturel, avec simplicité, comme la parfum porte la bonne odeur et le sel le goût agréable et délicieux, comme le feu irradie la chaleur, la lumière et la flamme, en vivant exactement comme vous le faîtes au milieu du monde, adonnés que vous êtes à votre travail professionnel, et au sein de votre famille, si vous êtes mariés, en prenant part à toutes les aspirations nobles des hommes, en respectant la légitime liberté de chacun « afin que, même si quelques uns refusent de croire à la Parole, ils soient gagnés, sans parole, par la conduite et la foi des disciples de Jésus» (cf. 1P. 1, 1-2). La vie ordinaire peut être sainte et remplie de Dieu. Et le Seigneur nous appelle à sanctifier nos tâches habituelles parce que là aussi réside la perfection chrétienne. Aujourd’hui, chers Amis, le drame de l’homme moderne, ce n’est pas de manquer de vêtements ou d’habitat, la faim la plus tragique et l’angoisse la plus terrible de notre monde, ce n’est pas de manquer de nourriture : c’est bien plus l’absence de Dieu et le manque d’amour véritable, cet amour qui nous a été révélé sur la Croix. «Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu» (Mt 4,4).
Un des signes des temps est la prolifération d’organismes philanthropiques et de structures d’aide humanitaire et de solidarité : voilà pourquoi le témoignage de la charité devient de plus en plus important. Il y a un risque de « fonctionnariser » le service de la charité, c'est-à-dire de séparer l’oeuvre de charité de la personne qui agit. Or le témoignage est indissolublement lié, dans la mission de l’Eglise, à la personne du témoin. La mission diaconale de l'Église ne peut pas se limiter à une présentation objective et neutre de son objet; elle ne prend tout son sens que si l’individu qui s'engage l’intériorise et devient l’incarnation de la compassion et de l’Amour de Dieu, car il doit être la présence visible et affective et la proximité paternelle de Dieu auprès de ceux qui souffrent et connaissent la maladie, les catastrophes, les épreuves et la mort. On ne peut dissocier la personne qui témoigne et la mission.
Voilà pourquoi nous tous sommes appelés personnellement à ne pas transformer la charité en une simple «profession», mais à être conscients que nous sommes personnellement porteurs d’un don : le trésor de la Parole et de l’Amour de Dieu qui nous transcende. Voilà le sens du mot témoin : être là pour Quelqu’un, et non pour soi-même. Saint Maxime le Confesseur est tranchant sur ce point: «Non seulement l’Amour se manifeste en distribuant les richesses, mais bien davantage en distribuant la Parole de Dieu et en se mettant personnellement au service d’autrui», au nom de Dieu notre Père. C’est là évidemment que l’on peut donner de l’espace à Dieu. Il est donc nécessaire, dit le Saint-Père, que «dans les institutions caritatives de l’Eglise on ne se contente pas d’exécuter avec dextérité et compétence professionnelle le geste qui convient sur le moment. En plus de la préparation professionnelle, il est important et primordial pour les personnes qui oeuvrent dans les structures caritatives, d’avoir aussi et surtout une « formation du coeur». Il convient de les conduire à la rencontre avec Dieu dans le Christ, qui suscite en eux l’Amour et qui ouvre leur esprit à autrui, en sorte que leur amour du prochain ne soit plus imposé pour ainsi dire de l’extérieur, mais qu’il soit une conséquence découlant de leur foi qui devient agissante dans l’Amour, fides operans per caritatem (Ga 5,6) (cf. Deus Caritas est, N° 31).
Je voudrais conclure avec une parole du Saint-Père qui résume ma réflexion :
«La charité ne doit pas être un moyen au service de ce qu’on appelle aujourd’hui le prosélytisme. L’amour est gratuit. Il n’est pas utilisé pour parvenir à d’autres fins. Cela ne signifie pas toutefois que l’action caritative doive laisser de côté, pour ainsi dire, Dieu et le Christ. C’est toujours l’homme tout entier qui est en jeu. Souvent, c’est précisément l’absence de Dieu qui est la racine la plus profonde de la souffrance humaine. Celui qui pratique la charité au nom de l’Eglise ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l’Eglise. Il sait que l’Amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer… .
Aussi la tâche des organisations caritatives de l’Eglise est-elle de renforcer une telle conscience chez leurs membres, de sorte que, par leurs actions - comme par leurs paroles, leurs silences, leurs exemples- ils deviennent des témoins crédibles du Christ » (Deus Caritas est N° 31).
Le pain est important, la liberté est importante, mais la chose la plus importante de toutes est notre Foi au Dieu d’Amour et notre agenouillement pour l’adorer et le servir en servant les pauvres. La mission de Cor Unum consiste ainsi à maintenir ces éléments fondamentaux afin que la particularité de l’approche chrétienne et ecclésiale de la souffrance et de la pauvreté soit respectée.
Je vous remercie de votre attention et de votre indulgence à m’écouter"
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