Seulement voilà : ce qui reste refuse de disparaître dans la mondialisation, la pensée unique, le libéralisme économique, le progressisme sociétal. Ouvriers, employés, ruraux, chômeurs, musulmans, catholiques ont refusé cette soupe à la fois étouffante et insipide. Ils ont voté Mélenchon, Le Pen ou Zemmour. Peuple à la nuque raide, qui, comme pour la Constitution européenne, refuse la potion miraculeuse ! Il suffira de le forcer.
Alors, on voit déboucher des souterrains, comme ressuscités par cette lumière inattendue, tous les chevaux de retour du vieux monde, dont on découvre qu'il ressemble au nouveau comme un frère. Lionel Jospin, après vingt ans de retraite, vient réciter le catéchisme de la lutte contre la haine. Nicolas Sarkozy, après un silence méprisant envers la triste Valérie Pécresse, vient d'annoncer lui aussi son soutien à Macron. Le MEDEF, pourtant censé être apolitique, s'en remet au Mozart de la finance, des relations internationales et de tout le reste. En Europe, le Luxembourg, paradis fiscal et membre fondateur de l'Union européenne, s'inquiète de l'hypothèse Le Pen. On attend encore les curés en chaire à Pâques et les profs dans la rue à la rentrée (pour certaines zones), et le tableau sera complet. Le monde des gens bien a honte. On attend le documentaire sur les élections allemandes de 1933 à la télévision, et la visite du Président Macron au mémorial de la Shoah. Ça ne devrait plus tarder.
Cela veut-il dire que les Français, eux aussi, sont pris de frayeur et de honte, comme après un accès de folie collective ? Pas vraiment. Certains électeurs LFI (29 %, selon Valeurs actuelles) envisagent de voter Le Pen, malgré les consignes de Mélenchon, pourtant claires. Beaucoup n'ont pas la mémoire si courte que Macron le voudrait et retiennent les gilets jaunes, les petites phrases, l'abaissement du pouvoir, les cadeaux aux amis...
Le vieux monde fait-il bloc contre la menace ? On a plutôt l'impression qu'il tire ses dernières cartouches, qu'il envoie sa vieille garde. Pour apprendre au bon peuple à mettre un masque sur le nez, Véran ou Attal suffisaient. Pour apprendre au bon peuple à obéir aux consignes de vote, il faut du lourd. Du vieux soldat.
Chose amusante, les soutiens de Macron sont des perdants : Jospin en 2002, Sarkozy en 2012, et même Fillon en 2017. Faut-il y voir un signe ? À bout de souffle, dos à dos, les vieux profiteurs se serrent les uns contre les autres, protégeant leurs prébendes, que matérialise Emmanuel Macron. Cela tiendra peut-être. Cela tiendra peut-être même jusqu'aux législatives. Mais peut-être, aussi bien, est-ce terminé. Marine Le Pen va devoir peaufiner son débat. Les gens regardent.